Les Français ont La princesse de Clèves, les Russes ont Anna Karénine, les Anglais ont Elizabeth Bennet, qui fête ses 200 ans cette année et ne s'est jamais aussi bien portée. C'est l'héroïne du roman de Jane Austen, Pride and Prejudice, en français Orgueil et préjugés.
Publié en 1813, donc, Pride and Prejudice est l'un des romans, je veux dire l'une des oeuvres littéraires* les plus célèbres est les plus vendues dans le monde. C'est la mère de toutes les batailles du roman d'amour : Lizzie, une jeune femme (relativement) pauvre mais belle et intelligente, Darcy, un jeune homme immensément riche, odieux et méprisant, ils se détestent avec passion, et à la fin ils s'aiment et ils se marient, vous voyez le tableau. Cependant il ne faut pas confondre Jane Austen avec Barbara Cartland, ça n'a rien à voir. La satire des moeurs et contraintes sociales de l'époque y est piquante, certains personnages sont d'un ridicule qui confine au burlesque, d'autres sont extrêmement sarcastiques, ce qui en fait un roman beaucoup plus amusant que ceux qui ne l'ont pas lu, et ceux qui ont vu l'un des nombreux films du même nom, seraient tentés de croire. Je devrais dire celles, car, soyons honnêtes, ça reste un roman de filles.
Or donc, les aventures d'Elizabeth Bennet faisant partie de l'inconscient collectif du monde anglophone lettré, ce qui fait quand même des dizaines de millions de gens, et le roman étant bien sûr dans le domaine public, innombrables sont les réécritures, versions, pastiches et séquelles, comme on dit en anglais, publiées** ces dernières années, que je me suis amusée à collectionner chaque fois qu'il m'en tombait sous la main.
Bien sûr, la première tentation est de rajouter du cul, ce que Jane Austen elle-même aurait apprécié je pense, car bien que vieille fille, elle n'était certainement pas bégueule.
Dans cette veine le plus drôle à mon avis est Pride and Promiscuity, d'une certaine Arielle Eckstut (Canongate, 2003), qui postule qu'on ne comprend pas tout dans les romans de Jane Austen parce que l'auteur a dû éliminer les scènes de sexe, et tout devient beaucoup plus clair lorsque l'on vous explique qui couche avec qui... et que l'on vous décrit comment, plutôt graphiquement.
(Mon blog est répertorié par Google comme "suitable for children", je trouve ça déprimant, j'ai décidé qu'il fallait que ça cesse.)
Le plus étrange est certainement Pride/Prejudice (Ann Herendeen, Harper & Collins, 2010) une version érotique dans laquelle tout le monde est homosexuel. Bien que je n'aie rien contre la lecture d'un roman porno de temps en temps, je l'ai trouvé plutôt boring.
En revanche, j'ai appris à cette occasion que la slash fiction, du nom du signe "/", est un genre littéraire, populaire on va dire, qui consiste à accoupler des personnages de fiction du même sexe. Ben Hur et Messala spring to my mind, pourtant l'origine est bien plus geek : le nom du genre viendrait de la série d'histoires écrites par les fans de Star Trek mettant en scène une relation sexuelle entre Kirk et Spock, collectivement rangées sous l'appellation K/S, par opposition au genre K&S, ou Kirk et Spock restent chastement amis. Ca laisse imaginer le volume de fantasmes générés par Star Trek, mais c'est une autre histoire...
Il existe de nombreuses autres versions érotiques de Pride and Prejudice, notamment dans la collection "Clandestine Classics", spécialiste du genre, qui a fait subir le même traitement à Jane Eyre et Sherlock Holmes (oui, c'est bien ce que vous craignez, il enfile allègrement le Dr Watson, mais ça aussi c'est une autre histoire).
Mais extrayons nous à regret de la fange du stupre et de la pornographie pour nous pencher sur d'autres genres. Les suites de Pride and Prejudice sont trop nombreuses pour les répertorier ici. Le site Goodreads en a compté 195 en 2008, dont Le journal de Bridget Jones, oui oui. Il doit y en avoir deux fois plus aujourd'hui, la plupart à l'eau de rose.
L'adaptation la plus célèbre de nos jours est sans doute Pride and Prejudice and Zombies (Seth Grahame-Smith, Quirk Books, 2009) qui est un New York Times Best Seller (oh, my...) et que je n'ai pas lu, parce que les histoires de zombies ça me gonfle. Le succès de cet ouvrage improbable a poussé des opportunistes à commettre d'autres titres tels que Mr Darcy, Vampyre, Vampire Darcy's Desire, ou Jane Bites Back.
Il semble que la tentation d'emprunter la plume de Jane Austen soit irrésistible, car même la vénérable P.D. James, connue pour ses romans policiers lugubres et britanniques, a décidé en voyant arriver sa 90ème année de se laisser aller à cet exercice futile (c'est elle qui le dit) et de confronter Elizabeth et Darcy à un crime mystérieux dans Death Comes to Pemberley (Random House, 2011) . Le résultat est, comment dire ? Profondément ennuyeux, hélas.
But don't get me wrong ! Je continuerai à acheter et à lire avec avidité toutes sortes de conneries que le commerce de la sous-littérature voudra bien publier sur le sujet ; quitte à avoir une addiction honteuse, c'est moins dangereux que le crack, par exemple.
Pour les débutants, on trouve la version originale en version numérique gratuite sur internet, en français, ou en anglais.
Pour les fanatiques, http://www.prideandprejudice200.org.uk/ présente le calendrier de tous les événements liés au bicentenaire.
* Les sept romans en anglais les plus lus dans le monde sont les sept volumes de Harry Potter, d'après LibraryThing. Après les Stephen King, Terry Pratchett et autres, Jane Austen vient en seconde position après Shakespeare parmi les auteurs que j'appelle littéraires.
** Cet attribut se rapportant à trois mots féminins et un mot masculin, j'ai décidé de l'accorder démocratiquement.
* Les sept romans en anglais les plus lus dans le monde sont les sept volumes de Harry Potter, d'après LibraryThing. Après les Stephen King, Terry Pratchett et autres, Jane Austen vient en seconde position après Shakespeare parmi les auteurs que j'appelle littéraires.
** Cet attribut se rapportant à trois mots féminins et un mot masculin, j'ai décidé de l'accorder démocratiquement.