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dimanche 6 avril 2014

La part du lion

Pomeroy n'est pas un vignoble de Bourgogne. C'est un village paumé de la municipalité de Msinga, province du Kwa-Zulu Natal, Afrique du Sud. Solomon Linda y naquit dans une famille pauvre en 1900. Il chantait avec ses copains dans les mariages, des chansons dans le style à la mode de l'époque, l'isicathamiya (n'essayez pas de le prononcer), un chant a cappella syncopé repris beaucoup plus tard par Ladysmith Black Mombaso. Ladysmith est un patelin du coin d'ailleurs.

Solomon partit chercher du travail à Johannesbourg en 1931. Il chantait toujours, dans une chorale qui s'appelait Evening Birds. Lorsque la chorale se sépara, il fonda un groupe du même nom avec ses potes, tous originaires de Pomeroy. Ils avaient belle allure avec leurs costards rayés et leurs chapeaux, et un certain succès. Solomon Linda était le compositeur et le soprano (le plus grand sur la photo).

Eric Gallo, un immigrant italien, avait fondé à JoBurg le seul studio d'enregistrement au sud du Sahara. Il repéra les Evening Birds et leur fit enregistrer plusieurs morceaux en 1939, dont l'un, improvisé dit-on, s'appelait Mbube.

Le 78 tours de Mbube fut le premier à vendre plus de 100.000 exemplaires en Afrique.
Sa renommée parvint jusqu'en Europe, puis jusqu'aux oreilles d'Alain Lomax, le "légendaire" historien de la musique populaire (ses archives ont été mises en ligne récemment), qui le fit écouter au non moins légendaire folk singer Pete Seeger, toujours sur les bons plans (voir ce blog : We Shall Overcome).

Pete Seeger entendit "Wimoweh" à a place de "Uyimbube" dans la version originale, et enregistra le morceau sous ce titre avec son groupe The Weavers, en 1952. Le disque mentionnait comme compositeur "Paul Campbell", un pseudonyme des Weavers.

La même année, dans la jungle terrible jungle de la production musicale, Solomon Linda céda le copywright de Mbube à Eric Gallo contre dix schillings (environ cinquante centimes d'euros d'aujourd'hui) et un emploi pour laver le parterre et servir le thé dans les entrepôts du studio.

Ca la fout mal pour Pete Seeger, gauchiste, ami des pauvres. Dans les années 2000, il a déclaré "je n'ai pas réalisé ce qui se passait, et je le regrette. J'ai toujours laissé de l'argent aux autres. J'ai été plutôt stupide." Plus tard il a affirmé avoir exigé de ses producteurs que Linda soit payé, et avoir personnellement adressé un chèque de mille dollars.

Wimoweh atteignit le Top 20 aux Etats-Unis. En 1959, le Kingston Trio enregistra une nouvelle version qui créditait la composition à Linda-Campbell. Enfin, en 1961, les producteurs Hugo & Luigi demandèrent à George David Weiss d'écrire des paroles pour Wimoweh.

Quelqu'un devait quand même se souvenir que Mbube signifie "le lion" en zoulou, puisque Weiss écrivit "The Lion Sleeps Tonight" pour les Tokens, qui devint le succès phénoménal que l'on connaît (et à mon avis la meilleure version à ce jour).

Au cours des deux années qui suivirent, plus de 150 "covers" furent enregistrées dans le monde, du Japon à la Finlande. Solomon Linda avait de nouveau disparu des crédits. Henri Salvador en personne écrivit les paroles en français dès 1962 pour "Le lion est mort ce soir". Et c'est ainsi que le lion est mort pendant son sommeil.

Pendant ce temps, les huit enfants de Solomon Linda subsistaient (ou pas) de porridge et de bouillon de pattes de poules. Deux d'entre eux moururent de malnutrition. Solomon lui-même mourut en 1962 d'une maladie des reins, avec l'équivalent de 22 dollars sur son compte en banque. Sa femme n'eut pas les moyens de lui payer une pierre tombale.

Et tout resta ainsi dans le meilleur des mondes possibles, durant trente ans.
En 1990 à l'expiration du copyright initial sur The Lion, George Weiss alla en justice pour récupérer l'intégralité des droits, face à divers producteurs. Au cours des débats, il apparut que Wimoweh n'avait pas été composée par Paul Campbell, puisqu'il était fictif, et que ce n'était pas non plus une chanson traditionnelle appartenant au domaine public, mais qu'elle avait bien un auteur. Weiss déclara qu'il avait toujours veillé à ce que la famille de Solomon Linda reçoive une part équitable (ah bon ?).

Le 1er janvier 1992, une cour d'arbitrage statua que les droits revenaient à Weiss, qui devait reverser 10% des royalties aux ayants-droit de Linda, juste au moment où le Lion allait être de nouveau propulsé dans une autre dimension grâce à Disney avec Le Roi Lion.

Si nous savons tout cela,  c'est grâce à Rian Malan, un journaliste sud-africain au coeur pur (qui a été appelé "le Hunter S. Thompson d'Afrique du Sud"), qui commença à s'intéresser à l'affaire dans les années 90. Il interviewa certains protagonistes, puis rendit visite aux filles survivantes de Solomon Linda à Soweto : Fildah, Elisabeth, Delphi et Adelaïde.

En rassemblant les papiers de la famille, il parvint à établir qu'elles avaient dû recevoir autour de 12.000 dollars en tout depuis 1991. C'était toujours la misère. Les quatre filles de Solomon vivaient dans une cabane avec une dizaine d'autres personnes, dont la plupart dormaient à même le sol ; la plus jeune, Adelaïde, tremblait de fièvre avec une infection qu'elle ne pouvait pas soigner faute d'argent. Rian Malan fit de son mieux pour expliquer toute l'histoire de ces inconnus américains qui s'étaient partagé le magot, leur apporta un tas de documents légaux incompréhensibles, et finalement leur donna une lettre dans laquelle George Weiss lui assurait que ses subordonnés déposaient la part "correcte et équitable" des bénéfices sur le compte de leur mère, "Mme Linda". Seul contretemps : elle était morte et enterrée depuis dix ans.

Rian Malan
Puis Rian Malan rentra chez lui et continua de faire son métier, ce qui aboutit à la parution, en 2000, d'un énorme et passionnant article en quatre parties, sous le titre "In the jungle", qui est reproduit ici.

Alors que l'article était sous presse, suivant l'expression consacrée, il reçut un appel des filles Linda, dans un état "de jubilation quasi-hystérique". Les deux premiers chèques pour un montant total de 12.000 dollars étaient arrivés à la banque.

L'article fit de Solomon Linda une cause célèbre : les reporters du monde entier affluèrent à la petite maison de Soweto. La BBC finança un documentaire sur son histoire. Le ministère de la culture sud-africain mit en place une task force... Un jeune avocat afrikaner du nom de Hanro Friedrich consacra bénévolement des milliers d'heures à reconstituer le parcours légal des droits d'auteur. Devant tant d'agitation, le PDG de Johnnic Entertainment, maison mère de Gallo Records, finit par annoncer en 2002 que sa société allait prendre en charge gratuitement la gestion des affaires des filles Linda, et placer à leur service le plus éminent spécialiste des droits d'auteur du pays.

Eminent en effet était le Dr Owen Dean, qui obtint en 2006 un arrangement (settlement) pour la reconnaissance des droits d'auteur de Solomon Linda et le paiement des royalties rétroactivement depuis 1987 "for an undisclosed amount", ainsi que le paiement des droits à venir. Les "experts de l'industrie" estiment que les droits pourraient valoir au moins quinze millions de dollars.




Sources : 
Livre : The Lion Sleeps Tonight and other stories of Africa. Rian Malan, Grove Press, 2012, 368 p.
Film : A Lion's Trail  South Africa 2002, 54 min.
by François Verster
http://longform.org/stories/in-the-jungle-rian-malan
http://performingsongwriter.com/lion-sleeps-tonight/
Afrik.com : la vengeance du lion 2004
http://www.npr.org/blogs/therecord/2012/03/28/148915022/alan-lomaxs-massive-archive-goes-online
http://research.culturalequity.org/home-audio.jsp
La plainte de Owen Dean, cabinet Spoor & Fisher
BBC : Disney settles Lion song dispute 16/02/2006

dimanche 12 mai 2013

L'école des guépards

Je suis bien aise d'avoir retrouvé ces jours ci par hasard sur internet le Dr Laurie Marker, une dame que j'avais découverte au siècle dernier sur cet engin obsolète qu'est la télévision, et qui m'avait fascinée (la dame, pas la télévision).

C'est l'histoire d'une petite fille qui aimait les animaux. Son père élevait toutes sortes de chevaux, chats, chiens et lapins dans le jardin de sa maison de Californie. Pourtant, elle n'a même pas fait d'études vétérinaires. Elle a étudié l'oenologie. A 20 ans, en 1972, elle était mariée et installée dans l'Oregon avec l'ambition de créer un vignoble, mais l'argent manquait et elle se mit à travailler dans un parc animalier du nom de Wildlife Safari. Cette année-là, le zoo commençait sa première tentative de reproduction des guépards, qui fut d'ailleurs un succès. Laurie fut conquise par les guépards et ne les quitta plus.

Dans les années 70, les connaissances sur les guépards étaient plutôt anecdotiques. On savait que depuis la nuit des temps ils fascinent les humains : 3000 ans avant JC, les Sumériens gardaient des guépards en captivité comme animaux de compagnie. A la même époque, le guépard était vénéré par les Egyptiens de la Ière dynastie sous les traits de la déesse Mafdet, chargée d'accompagner l'âme du pharaon en sécurité dans l'au-delà.

Les Romains utilisaient les guépards pour chasser, un sport prisé par les princes de tous les pays au cours des siècles. Marco Polo décrit les centaines de guépards possédés par l'empereur de Chine Kublai Khan au XIIIème siècle. L'empereur moghol Akbar, bien connu de ce blog, était un autre grand amateur. Sur les 9000 guépards qu'il collectionna au long des 43 ans de son règne, il n'obtint qu'une seule portée, et aucun des petits ne survécut. A la Renaissance, il était de bon ton chez les nobles italiens et français d'élever des guépards pour chasser. Elever c'est une façon de parler, puisqu'ils ne se reproduisaient pas en captivité. Il fallait donc capturer des animaux sauvages, ce qui entraîna la disparition presque complète du guépard d'Asie. Aujourd'hui il ne subsisterait qu'une centaine de spécimens en Iran.

En 1980, Laurie Marker était responsable du programme de reproduction des guépards au Wildlife Safari, devenu l'un des plus importants des Etats-Unis, lorsqu'elle reçut la visite de David Wildt et Stephen O'Brien, rencontre qui allait considérablement élargir ses horizons.

David Wildt est biologiste au Zoo National de Washington DC. "Lorsque j'ai rencontré Laurie Marker il y a plus de trente ans, tout ce que je savais d'elle c'est qu'elle dormait avec un guépard nommé Khayam couché au pied de son lit. Ca m'avait beaucoup impressionné" dit-il.
Les chercheurs du Zoo National, qui fait partie de l'Institut Smithsonian, avaient ramené d'Afrique du sud des échantillons de sperme et de sang pour étudier la reproduction des guépards. David Wildt observa le sperme au microscope et y découvrit un nombre lamentablement faible de spermatozoïdes  (autour de 10% de ce que l'on trouve chez les autres félins), et qui en plus étaient malformés pour plus de la moitié.

Zoo National de Washington
Les échantillons de sang furent confiés à Stephen O'Brien du NIH, National Institutes of Health, qui avait étudié les variations génétiques chez les chats. Ses résultats furent encore plus préoccupants : il ne trouva aucune variation génétique entre les échantillons. Ils auraient aussi bien pu venir du même animal. Les guépards d'Afrique du sud étaient tous pratiquement des clones.

Les guépards étaient-ils victimes de la consanguinité ? C'est pour vérifier cette hypothèse que O'Brien et Wildt se présentèrent au Wildlife Safari pour prélever des échantillons de peau et les greffer sur d'autres guépards. Ces greffes furent toutes acceptées sans aucun phénomène de rejet, ce qui montrait que le système immunitaire des guépards était exactement identique chez tous les guépards, les rendant extrêmement vulnérables aux épidémies.

Répartition des guépards dans le monde (Wikimedia Commons)
L'état actuel de la recherche sur les restes fossiles et les rares variations génétiques des guépards indique que l'espèce serait apparue en Amérique du nord il y a 8,5 millions d'années, pour se répandre à travers l'Asie, l'Inde, l'Europe et l'Afrique. L'espèce moderne aurait 200.000 ans, mais la dernière glaciation dite de Würm, il y a environ 12.000 ans, aurait décimé les guépards, qui auraient complètement disparu du continent américain. Un nombre relativement faible d'individus aurait survécu, ce qui explique la consanguinité.

En 1988 Laurie Marker, divorcée, s'installa à Washington pour prendre la direction du programme de recherche du National Zoo sur l'étude génétique et la reproduction des guépards, ce qui prouve en passant que le Smithsonian fait confiance aux experts autodidactes. Parallèlement, Laurie Marker faisait depuis 1977 de fréquents voyages en Namibie, pays où subsistent le plus de guépards à l'état sauvage, et étudiait les conflits avec les fermiers éleveurs de bétail qui, peu sensibles à la noblesse naturelle des grands félins, avaient tendance à les descendre pour les empêcher de bouffer leurs chèvres.

En 1990, Laurie Marker était peut-être la seule personne qui ait une vision complète de l'étendue du désastre, et elle se mit à se faire sérieusement du mouron pour l'avenir de ses félins adorés. Mais elle ne trouvait pas grand monde pour partager son angoisse.
Marker raconte dans une interview en 2008 : "Je pensais que si je parlais à suffisamment de gens de la menace pesant sur les guépards, ils allaient s'en occuper. Mais personne ne l'a fait. Les gens disaient toujours : 'quelqu'un devrait faire quelque chose pour les guépards.' Mais je n'ai jamais trouvé qui était ce quelqu'un. Alors j'y suis allée."

Laurie Marker vendit son mobile home en Oregon et ses rares possessions et débarqua à Windhoek, Namibie le 1er avril 1991, munie de 15.000 dollars et de son incroyable ténacité. Une autre longue bataille venait de prendre fin, celle de l'indépendance du Sud-Ouest Africain. Ancienne colonie allemande, puis protectorat de l'Afrique du sud, un territoire de 840.000 km2 pour seulement 2 millions d'habitants, la Namibie avait accédé à l'indépendance le 21 mars 1990.

Dans le nord de la Namibie, les quelque 3.000 guépards qui restent en liberté vivent presque tous sur  le territoire d'immenses ranchs qui appartiennent aux éleveurs. Aux éleveurs blancs of course. Ils considéraient les guépards comme de la vermine et en tuaient en moyenne 600 par an. Marker passa des mois à arpenter la région de Otjiwarongo pour parler avec les fermiers. Elle était accueillie plutôt fraîchement, étant américaine, car les Etats-Unis étaient considérés comme ayant soutenu le mouvement pour l'indépendance, ce qui était loin d'enchanter ces gens. Mais au lieu de venir les voir pour leur faire la leçon et leur dire que c'est pas bien de tuer les grands félins, ce qui ne lui aurait pas rapporté grand chose à part peut-être un coup de fusil, elle se contenta d'écouter ce qu'ils avaient à dire sur la gestion de leurs exploitations et leurs méthodes de protection des troupeaux. Marker prenait des notes et expliquait certaines choses. Par exemple, les guépards ne s'attaquent pas aux animaux adultes qui sont trop gros. Il suffit donc de protéger les jeunes. Aussi, les guépards préfèrent manger des animaux sauvages. Si les éleveurs laissaient cohabiter leur bétail avec les antilopes, au lieu de les chasser, les félins seraient moins tentés par les veaux. En gros, elle présentait un éco-système viable qui inclue l'élevage et qui soit profitable pour les animaux sauvages comme pour le business.

C'est ainsi qu'un beau matin elle se présenta chez Harry Schneider-Waterberg, sympathique jeune homme qui venait d'hériter de la propriété familiale de 42.000 hectares (oui c'est immense et non, je ne vais pas vous le convertir en stades de football). Harry Schneider-Waterberg fut convaincu par les arguments de Marker que l'on pouvait réduire les pertes provoquées par les prédateurs sans les tuer. "Elle présentait des informations dont je pouvais me servir, sans jamais accuser" se souvient Schneider. Il est aujourd'hui président de la Waterberg Conservancy, une association de douze propriétaires qui a dédié un territoire de plus de 150.000 hectares à la préservation de l'éco-système.

Waterberg Farm

En campant dans des fermes prêtées par les propriétaires du coin, Laurie Marker persuada la plupart des fermiers de capturer les guépards plutôt que de les tuer, et s'occupa de les recueillir, de les marquer avant de les relâcher, et d'élever les petits orphelins. Enfin, en 1994, un don d'un bienfaiteur américain anonyme et quelques subventions lui permirent d'acheter à son tour 40.000 hectares de savane pour fonder le Cheetah Conservation Fund. (Je rappelle à nouveau ici que cheetah est un mot qui vient de l'hindi et signifie guépard en anglais, et non chimpanzé, contrairement à ce que pourraient croire les admirateurs de Tarzan.) A partir de là, she was in business, et sa petite entreprise a prospéré.

Aujourd'hui le CCF a réintroduit dans la nature plus d'un millier de guépards, qui sont équipés de radio-émetteurs pour suivre et étudier leurs déplacements. En plus de prendre soin des guépards élevés en captivité qui ne peuvent pas être remis en liberté, le CCF a des laboratoires de recherche, un centre de documentation et de formation, des programmes éducatifs dans les écoles de Namibie et reçoit des dizaines d'étudiants et de volontaires du monde entier. Il a mis en place un élevage de chiens de berger d'Anatolie qui sont offerts aux éleveurs pour protéger leurs troupeaux. Un éco-label qui s'appelle Cheetah Country Beef est proposé aux producteurs de viande namibiens qui exportent vers l'Union Européenne. Vous pouvez donc manger de l'entrecôte guépard-friendly !

Le CCF a développé un autre programme au Kenya et coopère aux programmes de protection de l'Iran et de l'Algérie. Il gère aussi le répertoire mondial des guépards en captivité, fondé et présidé par Laurie Marker. Le CCF est ouvert au public tous les jours, et a récemment ouvert un lodge pour accueillir les touristes. La Waterberg Guest Farm de Harry Schneider reçoit aussi les touristes.

C'est au CCF que l'on peut voir l'entraînement des guépards à la course, spectacle qui m'avait médusée jadis. En effet ces aimables félins sont réputés pour être les coureurs les plus rapides du monde, avec des pointes à 130 km/h. Mais Laurie Marker a découvert que la course n'est pas chez eux entièrement instinctive, et que, logés et nourris par les humains, ils se convertiraient volontiers en couch potatoes comme votre chat Minou. Donc tous les matins c'est entraînement : on fait courir les jeunes guépards derrière un leurre attaché au bout d'une ficelle, comme de vulgaires lévriers de course. J'ai trouvé une vidéo mais je ne sais pas si elle est visible de partout.



Les adultes, eux, courent carrément derrière un morceau de barbaque traîné derrière une voiture.

Les guépards sont des sprinteurs. Ils courent vite, mais sur de petites distances, pas plus de 500 mètres. C'est un souci car une fois qu'ils ont attrapé leur proie, ils sont épuisés et les lions, les panthères ou même les hyènes peuvent en profiter pour la leur piquer, pendant qu'ils sont littéralement sur le flanc.

Décidément les guépards n'ont pas de bol. Leur seule chance, c'est que leur fourrure est douce au toucher "comme du gazon synthétique" paraît-il, et donc ils n'ont jamais été chassés pour faire des manteaux avec leurs peaux, contrairement aux léopards.

Le nom savant du guépard est Acinonyx jubatus, du grec Acinonyx qui signifie "dont les griffes ne bougent pas", en effet c'est le seul félin dont les griffes ne sont pas rétractiles, il en a besoin pour ne pas déraper et partir dans le décor dans les tournants à grande vitesse, et jubatus qui signifie "à crête" à cause des épis qu'il a sur l'échine, visibles surtout chez les petits.

C'est le CCF de Laurie Marker qui a produit à peu près tout ce que l'on sait sur le comportement des guépards. Par exemple, les femelles sont solitaires, et ce sont elles qui choisissent un mâle pour se reproduire. Ainsi lorsque dans les zoos on présentait plusieurs femelles à un mâle, selon la méthode sexiste traditionnelle, tout le monde flippait et il ne se passait rien.

Les mâles vivent en groupes de frères que l'on appelle coalitions. Ils parcourent des centaines de kilomètres et ils ont donc besoin pour survivre en liberté de très vastes territoires. La Namibie est un des pays les moins peuplés du monde, mais même comme ça il est difficile d'imaginer que des étendues de savane suffisantes puissent être conservées très longtemps.

Laurie Marker a été désignée comme l'un des héros de la planète par le Time Magazine en 2000 ; en 2002, elle est devenue Dr Laurie Marker en recevant un doctorat de l'université d'Oxford pour sa thèse sur la biologie, l'écologie et les stratégies de conservation des guépards.

Grâce à elle, les guépards ont reçu un gros coup de main, mais ils sont loin d'être sortis d'affaire.
Engagée dans une impasse génétique, l'espèce pourrait être totalement éteinte d'ici trente ans. Nous sommes peut-être la dernière génération à pouvoir admirer ces animaux. Réunir ses économies, prendre un avion pour Windhoek et aller voir Laurie faire courir ses petits chéris. C'est ce que je vais faire, un de ces jours.



Sources : 

La chasse au guépard et au lynx en Syrie et en Irak au Moyen Âge. Institut Français du Proche Orient, 7 février 2012
http://www.cheetah.org/?nd=home
http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,996741,00.html
http://www.smithsonianmag.com/science-nature/rare-breed.html
http://news.mongabay.com/2010/0726--mszotek_laurie_marker.html
http://internationalsciencenews.wordpress.com/2012/09/11/dr-laurie-marker-the-cheetah-hero/

vendredi 28 mai 2010

Hôtel Pozzo di Bongo

Au 51 rue de l'Université, au coeur de ce que Marcel Proust appelait le Faubourg Saint-Germain, et que l'on appelle maintenant le "bon 7ème", se trouve un aimable pied-à-terre de 4500 m2 entouré de 3700 m2 de cours et jardins, et connu depuis une paire de siècles sous le nom d'Hôtel Pozzo di Borgo.

L'hôtel particulier, dit d'abord de Longueil, ou de Maisons, puis d'Angervilliers, puis de Soyecourt du nom des propriétaire successifs, a été construit en 1706 par l'architecte Pierre Cailleteau dit « Lassurance ».

Pour la petite histoire à l'intérieur de la petite histoire, ce Cailleteau n'était pas un péquenaud : il a été dessinateur dans l'administration des Bâtiments du Roi dans les années 1680. On lui attribue la plupart des esquisses décoratives réalisées pour le château de Versailles et le Trianon de marbre autour de 1690, pour ceux qui aiment ce style. Officiellement élève de Hardouin-Mansart, premier architecte de Louis XIV, les mauvaises langues disent qu'il était plutôt son maître. « Hardouin-Mansart était ignorant dans son métier, et de Cotte, son beau-frère, l'était guère moins. Ils tiraient tout d'un dessinateur qu'ils tenaient clos et à l'écart chez eux, qui s'appelait Lassurance, sans lequel ils ne pouvaient rien. » rapporte Saint-Simon, le people gossip du Siècle d'Or.

Cailleteau quitta ensuite le service du Roy pour s'associer à un certain François Duret, Député au Parlement de Paris, puis président de la Chambre des Comptes, puis Président du Grand Conseil, sorte d'ancêtre du Conseil d'Etat, de 1699 à 1708. Qualifié par ses contemporains de financier, entrepreneur ou spéculateur, Duret était ce qu'on appellerait aujourd'hui un promoteur immobilier : finançant la construction de palais qu'il revendait aussi sec à la noblesse, il est en grande partie responsable de l'aspect que le faubourg Saint-Germain garde encore aujourd'hui. C'est donc pour Duret que Cailleteau construisit l'hôtel dont auquel, acquis en 1707 par Claude de Longueil, marquis de Maisons.

Enjambons deux siècles pour accueillir Carlo Andrea Pozzo di Borgo, dit Charles-André, qui nous vient d'Ajaccio comme Napoléon Bonaparte et autres plaies.
Cousin éloigné et ami d'enfance de Napoléon et son frère Joe (alias Pepe), il devint ensuite leur ennemi juré pour de sombres histoires de politique locale corse, ce qui quelque part lui rendit service puisqu'ayant débuté comme député de Corse en 1789, il dut s'exiler pendant l'Empire et réussit à se mettre dans les petits papiers du Tsar, pour revenir triomphalement à Paris à la Restauration comme Ambassadeur de Russie.

Mes relations chez les généalogistes me donnent les informations suivantes : Carlo Andrea Pozzo di Borgo, né à Alata (Corse-du-Sud) le 8 mars 1764, Chevalier de l'Ordre de Saint André et de Saint Wladimir de Russie, Chevalier de la Toison d'Or, Grand Croix de Saint Etienne de Hongrie, Grand Croix de l'Aigle Noir de Russie, Commandeur de Saint-Louis, Comte et Pair de France (Ordonnances des 15 janvier 1816 et décembre 1818), comte héréditaire de l'Empire Russe (Oukazes de S.M. Nicolas I des 22 août 1826 et 17 septembre 1827).
Oukazes de Nicolas Ier, c'est chic quand même. Ca en jette, je trouve.

En bref une belle carrière de haut-fonctionnaire, pendant laquelle il acheta la baraque de la rue de l'Université, probablement en 1814. Il y mourut en 1842, sans descendance, ne s'étant pas marié pendant toutes ses aventures.
Il avait en revanche une armée de cousins en Corse, dont Paolo Felice Pozzo di Borgo, Trésorier Payeur Général de la Corse, dit "U pagadore", mort assassiné par deux cousins corses, ça ne s'invente pas...
L'un des fils de Paolo Felice, Jérôme, épousa une certaine Aline de Montesquiou-Fezensac, un nom bien proustien.

Pour rester dans l'architecture, il semble que les Pozzo di Borgo aient eu une manie curieuse (et coûteuse) : celle de déménager non pas les meubles, mais les immeubles. Jérôme Pozzo di Borgo acheta dans les années 1840 le domaine de Montretout à Saint-Cloud.  De 1896 à 1899, il fit transférer le château à Dangu, dans l'Eure, sur un domaine qu'il avait acheté entretemps. Pour sa défense, le château de Montretout avait été incendié en 1871 pendant le siège de Paris. (Le domaine de Montretout quant à lui est, aux dernières nouvelles, toujours la propriété de Jean-Marie Le Pen, cerné par les huissiers.)

Son fils Charles Jean Félix Pozzo di Borgo, héritier du titre de Comte et de l'hôtel de la rue de l'Université, fit construire à La Punta, en Corse, un château avec les pierres du château des Tuileries, détruit aussi en 1871.
Cet épisode est particulièrement rocambolesque : ..."C’est au printemps de 1883 que le comte Charles Pozzo di Borgo acheta un lot important des pierres des Tuileries provenant des carrières de Vaugirard. Avant de déposer avec soin le lot acquis, il fit photographier sur place l’ensemble des pierres choisies. Ces pierres furent numérotées et mises dans des caisses inventoriées sur un registre. (...) On fit partir les caisses par le chemin de fer jusqu’à Marseille et on les entreposa dans les docks. Il y avait alors deux départs par semaine des bateaux à vapeur faisant le service entre Marseille et Ajaccio. L’un de ces paquebots-poste appartenait à la Cie Valéry, (dirigée par la famille de Paul Valéry), l’autre à la Cie Transatlantique. L’un et l’autre de ces courriers débarquaient sur le quai d’Ajaccio un certain nombre de caisses qui étaient ensuite transportées par charrettes au hangar de la Villeta. Il y en eut 185 en tout..."*

Mais brisons là, avant de faire une overdose de factoïdes.

Avec le XXème siècle vint la (relative) débine. Une partie du Palais fut aménagée en appartements,  loués à des travailleurs tels que par exemple Karl Lagerfeld, ou occupés par divers descendants de Charles, le déménageur des Tuileries.

On y trouvait dans les dix dernières années Philippe Pozzo di Borgo, ancien directeur délégué des champagnes Pommery (groupe LVMH), devenu tétraplégique à la suite d'un accident de montagne en 1993. Il a écrit un livre sur son expérience, Le second souffle (éd. Bayard, 2001), et on murmurait la semaine dernière au festival de Cannes que des réalisateurs français préparent un film inspiré de sa vie, sous le titre "L'intouchable". Vous me direz après ça si mes informations ne sont pas actualisées...

Comme je ne suis pas (encore) abonnée au Who's Who, je n'ai pas pu savoir où habite Yves Pozzo di Borgo, sénateur de Paris pour le Nouveau Centre et ancien adjoint au maire du... VIIème arrondissement.

Plus glamour, Laetitia Pozzo di Borgo travaille pour Maxim's, et attire les people dans des réceptions mondaines, telles que celle-ci, relatée dans (autant aller directement à la source) Point de Vue en mai 2008.


L'avantage de ce genre de gens, c'est qu'on sait où les trouver. Par exemple dans le Figaro, qui vend la mêche en novembre 2009 : " Un lieu secret au cœur du VIIe. La famille Pozzo di Borgo a mis en vente le somptueux hôtel particulier du XVIIIe siècle qu'elle occupe rue de l'Université, et dans lequel a longtemps vécu Karl Lagerfeld. En attendant l'aboutissement des tractations, les Pozzo di Borgo (qui logent dans les étages) louent certains salons du rez-de-chaussée et son merveilleux jardin. Même si, ici, la devise en vigueur aurait quelque chose du célèbre « pour vivre heureux, vivons cachés », la privatisation est possible. Mais uniquement de bouche-à-oreille.
51, rue de l'Université (VIIe). De 15 000 à 30 000 €. "
C'est pas tellement cher, finalement, si j'avais su c'est là que j'aurais fêté mon anniversaire...

En fait, l'hôtel est proposé à la vente discrètement sous le nom d'hôtel de Soyécourt depuis 2007, par l'agence Emile Garcin (dont le site vaut le coup d'oeil) et il y a bien longtemps que les Pozzo di Borgo louent les salons d'apparat pour se faire de l'argent de poche. L'hôtel est surtout connu pour les défilés de mode, lancements de produits de luxe, Guerlain, Vivienne Westwood (photo), Ralph Lauren, Swarovski...

Plus branchées, des fêtes privées sont organisées pour divertir la jeunesse dorée, avec des attractions différentes dans chaque pièce, telles que jeux vidéo vintage, bataille de polochons dans le noir, concours de Guitar Hero, ballons remplis d'hélium, et autres joyeusetés d'un crétinisme régressif propre à distraire la progéniture dégénérée des milliardaires qui nous gouvernent.

Mais je m'égare de nouveau.

En 2007, un émir du Qatar avait signé une promesse d'achat de l'hôtel pour 100 millions d'euros, mais avait changé d'avis "abandonnant un dédit colossal" confie tout frissonnant un agent immobilier de luxe. Des minables ces émirs. Des gagne-petit.

Enfin le Canard Enchaîné du 26 mai et l'Express du 27 mai annoncent la bonne nouvelle : l'hôtel Pozzo di Borgo est vendu, et la famille du même nom sauvée in extremis de la soupe populaire. La facture est toujours de 100 millions d'euros. L'heureux acquéreur est une autre puissance pétrolière : le Gabon.

Je ne peux résister au plaisir pervers de citer intégralement le communiqué de la présidence gabonaise :

« Dans son projet de société « l’Avenir en confiance », le président de la République, S. E. Ali Bongo Ondimba, a fait le serment de restaurer l’image du Gabon à l’extérieur. Il a notamment promis d’acquérir des propriétés au bénéfice de nos Représentations diplomatiques.
En ce sens, le Président de la République Ali Bongo Ondimba vient de faire procéder, en toute transparence, à l’acquisition d’un bien immobilier à Paris, rue de l’Université, dans le 7ème arrondissement pour le compte de l’Etat.
Cet immeuble a été acquis au profit de l’ambassade du Gabon en France, pays avec lequel nous avons des liens amicaux étroits et historiques.
En raison de plusieurs évènements importants liés au rôle du Gabon sur la scène internationale, particulièrement en Europe, cette décision du Chef de l’Etat contribue à offrir à notre pays, aux résidents gabonais en France et en Europe, un espace d’échanges, de travail et d’hébergement de délégations gabonaises afin de réduire notablement les frais d’hôtel lors des missions officielles.
Cette acquisition immobilière est d’autant plus opportune qu’elle intervient au moment où l’Ambassade du Gabon à Paris connaît des travaux de réfection de longue durée et qu’il s’agit là d’un placement immobilier pour la République Gabonaise.
De même, cette acquisition s’inscrit dans la logique des décisions visant à rationnaliser et à rentabiliser l’utilisation des finances publiques à court, moyen et long termes.

Présidence de la République Gabonaise » 19 mai 2010
 
"Rationnaliser et rentabiliser l'utilisation des finances publiques." Fabuleux. Hénaurme.

On lit dans le Canard que la "République" gabonaise a également acheté "pour loger une partie des services de l'Ambassade" l'immeuble d'à coté, qui ne peut valoir moins de quelques dizaines de millions d'euros. Si on ajoute les travaux, allez, ça fait en gros 150 millions, ne mégotons pas, après tout il y va de "l'image du Gabon à l'extérieur"... Presque 100 milliards de francs CFA. Le tout sans qu'il soit prévu de vendre l'actuelle ambassade de la rue de la Bienfaisance, dans le VIIIème.

Notons au chapitre de l'économie de chambres d'hôtels que cette somme représente environ 1.500.000 nuits à l'hôtel Ibis de la Tour Eiffel, wi-fi gratuit, petit déjeuner offert, ou encore 220.000 nuits à l'hôtel Crillon, ils en ont de la chance les diplomates gabonais, ils vont pouvoir faire des économies en venant en mission à Paris pendant environ mille ans....

L’Ambassadeur du Gabon en France, Mme Félicité Ongouori-Ngoubili, ancien Directeur adjoint de cabinet du président Omar Bongo, a-t-elle supervisé cette transaction ? Percevra-t-elle une commission ? A ce prix là même 1% ce n'est pas négligeable... Aura-t-elle au moins sa résidence dans le désormais Hôtel Bongo ?
Inquiring minds want to know, comme dit l'autre.

Un peu d'histoire : en 1967, Albert Bernard Bongo dit ABB ou même Alpha Bravo deux fois par les vieux colons est porté au pouvoir par Jacques Foccart, qui d'autre. En 1973, pour fêter son entrée à l'OPEP, ABB se convertit à l'islam et se fait appeler Omar El Hadj Bongo, son fils Alain Bernard devenant Ali Ben Bongo (ce qui fait qu'il est resté Alpha Bravo deux fois, lui, dommage que le surnom soit tombé en désuétude).

Omar savait se maintenir au pouvoir mieux que moi à cheval, puisqu'il y resta jusqu'à sa mort en 2009, entouré des soins affectueux des siens, la France, la compagnie Elf, la Mairie de Paris, le Département des Hauts-de-Seine, etc... à défaut d'être soutenu par son peuple qui était occupé à crever de faim dans la dignité et la discrétion. (Au sujet de l'enterrement de Bongo voir l'article Racaille du 16 juin 2009).

Seule ombre à cette idylle,  en mars 2007 les associations Survie, Sherpa et la Fédération des Congolais de la Diaspora portent plainte auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris contre cinq chefs d’Etats africains en fonction et leurs familles, Omar Bongo, son beau-père Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Eduardo Dos Santos (Angola) et Teodoro Obiang (Guinée équatoriale). Ils sont soupçonnés par les trois associations d'être propriétaires en France de nombreux biens immobiliers de luxe et détenteurs d’avoirs bancaires auprès de banques françaises et/ou de banques étrangères ayant des activités en France. Sans blague. Une enquête policière est ouverte par le parquet de Paris en juin 2007, puis classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » en novembre 2007. Sans blague 2.

Mais, rebondissement, voici que le Monde** publie en janvier 2008 la liste des immeubles appartenant à ces messieurs, telle qu'établie par les procès-verbaux de la police. La famille Bongo y tient de loin la première place. "Au total, sont répertoriés 33 biens (appartements, hôtel particulier et maisons) appartenant au Gabonais Omar Bongo ou à sa famille. (...) Le patrimoine de loin le plus imposant concerne M. Bongo lui-même. Son nom est associé à pas moins de 17 propriétés immobilières, dont deux appartements avenue Foch (88 m2 et 210 m2) et un de 219 m2 lui aussi situé dans le 16e arrondissement. A Nice, une propriété "est constituée de deux appartements (170 m2 et 100 m2), trois maisons (67, 215 et 176 m2) et d’une piscine", précise le procès-verbal."


Selon les policiers, le président Bongo dispose de quatre adresses distinctes à Paris. Ali Bongo, qui est son fils et aussi son ministre de la défense depuis 1999, est également propriétaire avenue Foch tandis que son épouse Edith possède deux immenses logements dans le 7ème arrondissement, non loin de la tour Eiffel. De Nice à Neuilly-sur-Seine en passant – souvent – par le 16e arrondissement parisien, l’enquête recense aussi les propriétés de Jean Ping, ex-gendre d’Omar Bongo et actuel ministre des affaires étrangères, et d’autres fils du président gabonais comme Omar-Denis junior et Jeff, ainsi que de filles comme Audrey, Yacine Queenie, ou petite-fille comme Nesta Shakita.

"La découverte la plus spectaculaire se situe entre les Champs-Elysées et la plaine Monceau, dans le 8ème arrondissement de la capitale. Là, un hôtel particulier a été acquis le 15 juin 2007 pour la somme de 18,875 millions d’euros par une société civile immobilière (SCI). Celle-ci associe deux enfants du président gabonais, Omar Denis, 13 ans, et Yacine Queenie, 16ans, son épouse Edith, qui se trouve être la fille du président congolais Denis Sassou Nguesso, et un neveu de ce dernier, Edgar Nguesso, 40 ans."

Omar est furax, mais ses ennuis ne font que commencer. Le 2 décembre 2008, Transparency International France, l'Association Sherpa et un citoyen gabonais, Grégory Ngbwa Mintsa, déposent une nouvelle plainte assortie d'une constitution de partie civile visant Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso et Teodoro Obiang ainsi que leurs entourages pour recel de détournement de fonds publics.
Le 5 mai 2009, la doyenne des juges du pôle financier de Paris Françoise Desset juge recevable la plainte, ce qui ouvre la voie à une enquête judiciaire. Cette décision est prise contre l'avis du parquet qui a fait appel le 7 mai. La magistrate a en revanche rejeté la constitution de partie civile du ressortissant gabonais Grégory Ngbwa Mintsa.

C'est la raison pour laquelle Omar Bongo, craignant d'être inquiété par la justice en France, est hospitalisé le 11 mai 2009 et meurt à une date incertaine en juin à Barcelone, au lieu de rendre l'âme à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, comme tout dictateur ami de la France qui se respecte.

Ali Bongo, fils aîné de son père, est désigné candidat par le parti au pouvoir pour l'élection présidentielle prévue le 30 août 2009. Quelques jours avant l'élection, Robert Bourgi, conseiller de Nicolas Sarkozy pour les relations avec les pays africains, fait devant la presse une déclaration d'une subtilité de Panzer :
« Au Gabon, la France n'a pas de candidat, mais le candidat de Robert Bourgi, c'est Ali Bongo. Or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l'électeur le comprendra. » Subliminal, en effet.

Ali Bongo, mal élu (au scrutin majoritaire à un tour avec 41,75 % des voix) est président du Gabon depuis le 16 octobre 2009. Le "candidat du changement" a été décoré de la légion d'honneur*** par Nicolas Sarkozy lors de son (troisième) voyage au Gabon le 24 février 2010. A cette occasion, il a déclaré : “J’ai une grande confiance dans votre Président, mais je défie quiconque de penser ou de pouvoir démontrer que la France avait un candidat lors de la dernière élection présidentielle.”
Bref, le cinéma habituel.

C'est dans ce contexte que le communiqué délirant de la Présidence sur "l'acquisition en toute transparence pour le compte de l'Etat", l'"investissement immobilier" et autre "rationnalisation de l'utilisation des finances publiques" prend tout son sens. En gros, plutôt que de faire des acrobaties pour acheter un minable appart avenue Foch au nom de la petite nièce Cunégonde, autant acheter un monument historique dix fois plus cher, au nom de l'Etat, en toute transparence.
A la limite, s'il faut absolument sortir le pognon du pays, mieux vaut le mettre dans la pierre que le confier à Bernard Madoff, par exemple. Ca permet de garder l'espoir de le récupérer un jour.

Il y a des associations riches de bonne volonté et des avocats pro bono qui s'occupent de réclamer ces restitutions, après destitutions des dictateurs. Ca ne marche pas très fort.
Laissons le mot de la fin à Wikipédia :
 
En Suisse plusieurs restitutions ont eu lieu :
658 millions de dollars ont ainsi été restitués après 17 ans de procédure aux Philippines sur les fonds Marcos
2,4 millions de dollars des fonds du dictateur malien Moussa Traoré
594 millions de dollars des fonds du dictateur nigérian Sani Abacha
80 millions de dollars des fonds détournés par le clan Fujimori au Pérou

Le Royaume-Uni a restitué au Nigeria des fonds de Sani Abacha hébergés à Jersey

Les États-Unis et leurs alliés en Irak ont réalisé la plus grosse restitution en saisissant en 2003 plus de 2 milliards de dollars appartenant à la famille de Saddam Hussein, somme qui doit servir à la reconstruction de l’Irak. (Ouais, bof... NDLR)

La France, premier pays du G8 à avoir ratifié la convention des Nations Unies contre la corruption (Convention dite de Mérida, qui n'est pas en vigueur), n’a procédé à aucune mesure de restitution.


Mise à jour : Voitures de Teodorin Obiang saisies dans son appartement (enfin, le parking de son appartement) 42 avenue Foch le 28 septembre 2011. Seize véhicules de luxe, comme disent les flics, pour une valeur minimale de 5 millions de dollars... 








*Arbre généalogique de la famille Casa-Longa :  http://www.casa-longa.org/fg01/fg01_282.htm
Blog ArchiAct "Cabinet de curiosités architecturales" : http://www.archiact.fr/2008/12/pozzo-di-borgo.html

** Articles du Monde repris dans http://www.cellulefrancafrique.org/L-enquete-de-la-police-met-au.html

*** Ca vaut pas un oukaze du Tsar, mais bon, on fait ce qu'on peut...

Photos anciennes : fond d'archives du Ministère de la Culture : http://www.culture.fr/recherche/?typeSearch=collection&SearchableText=Soy%E9court&SearchWhere=

Pozzo di Bongo suites :
21 février 2011 http://www.gaboneco.com/show_article.php?IDActu=21623
7 mars 2011 http://www.lepost.fr/article/2011/03/07/2427413_declaration-devant-le-pozzo-di-borgo-acquis-par-ali-bongo-bientot-devant-le-cirdi.html
Xaier Harel et Thomas Hofnung : Le scandale des biens mal acquis, éd La Découverte, novembre 2011.

mardi 16 juin 2009

Racaille

C'est pratique quand un événement donne l'occasion de rassembler tous les pourris de la République dans un même lieu.

20 Minutes, le 16 juin 2009 (après correction des fautes de frappe) :

"Au total, une quinzaine de chefs d'Etat ont assisté aux obsèques solennelles du président gabonais. Après une minute de silence, les invités étrangers, parmi lesquels figuraient la plupart des présidents de l'Afrique francophone, ont commencé à s'incliner à tour de rôle devant le cercueil recouvert par le drapeau du Gabon sur fond de musique religieuse. La délégation française était importante. Deux Airbus A319 ont été affrétés pour l'occasion*. Une quarantaine de conseillers «Afrique» officiels de Nicolas Sarkozy et de son prédecesseur Jacques Chirac mais aussi des conseillers officieux, comme Robert Bourgi, le fils spirituel de Jacques Foccart, considéré comme le monsieur «Françafrique» de de Gaulle à Chirac en passant par Giscard avaient fait le déplacement. Parmi les nombreuses personnalités françaises se trouvaient également Loïk le Floch Prigent, ex-dirigeant d'Elf condamné dans l'affaire du même nom, Patrick Balkany, maire UMP de Levallois-Perret ou les anciens ministres Michel Roussin, Jean-Louis Debré, Jacques Godfrain."

Il y en a qui croient encore au père Noël gabonais...

D'autres pas...

Anecdote croustillante : Le Floch Prigent repasse par la case départ alors qu'on l'attend en prison. Question : a-t-il touché 20.000 francs (CFA) ?
AP 16/06/2009 Mise à jour : 16:09

"La justice s'est rappelée mardi au bon souvenir de Loïk Le Floch-Prigent. La chambre d'application des peines de la cour d'appel de Versailles (Yvelines) a en effet révoqué pour une durée de six mois la mesure de libération conditionnelle dont avait bénéficié l'ancien PDG d'Elf qui n'aurait pas respecté son obligation de rembourser les parties civiles, a-t-on appris de sources judiciaires. (...) M. Le Floch-Prigent n'a respecté aucune des obligations de son contrôle judiciaire.
Il travaille notamment à titre "bénévole" pour plusieurs chefs d'Etat africains alors que la justice lui impose une activité rémunérée pour rembourser les parties civiles, notamment la société Elf. (...) M. Le Floch-Prigent a ainsi renoncé à sa retraite "afin qu'elle ne soit pas saisie". Mais il a reçu un jour plus de 500.000 euros sur un compte dont il disait ignorer l'existence..."

*Capacité d'un A319 : 136 passagers x 2 = 272 pourris.

vendredi 20 février 2009

La citation du jour

"Une grande partie de la population est contente mais il y a toujours un petit groupe minoritaire qui n'est pas content, qui réclame des transformations démocratiques et des choses dans le genre".

Le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema.
(AFP)

dimanche 21 octobre 2007

Mort d'un Affreux

Bob Denard alias Said Mustapha Mahdjoub, né Gilbert Bourgeaud le 7 avril 1929, est mort le 13 octobre 2007.

L'église catholique a fait preuve une fois de plus de son infinie bienveillance envers l'extrême droite en acceptant d'"absoudre" Denard, mercenaire, assassin, tortionnaire, et par ailleurs converti à l'islam. Le dépêche de l'AFP vaut son pesant de cacahouettes :

PARIS (AFP) — "Cent vingt personnes, dont une quarantaine de ses anciens compagnons d'armes, ont rendu vendredi matin en l'église Saint François-Xavier à Paris (VIIe) un dernier hommage à l'ancien mercenaire Bob Denard, décédé le 13 octobre en région parisienne à l'âge de 78 ans.
Lors d'une absoute autour du cercueil de Bob Denard, le vicaire de la paroisse le père Dominique Cordier a souligné dans son homélie que si "Robert Denard était dans cette église c'est parce qu'il a été baptisé". Une allusion à la conversion de l'ancien mercenaire, devenu musulman lors de son séjour de onze ans aux Comores (1978-1989) après l'un de ses coups d'Etat.
A l'issue de la cérémonie religieuse, les anciens compagnons d'armes de Bob Denard ont fait une haie d'honneur à son cercueil sur le parvis de l'église, avant d'entamer a cappella autour du fourgon mortuaire "Les Oies sauvages", l'un des chants traditionnels de la Légion étrangère et des régiments parachutistes, issu du répertoire militaire allemand de la Seconde guerre mondiale."