Il n'y a pas de rue du Château-Rouge, ni vraiment de quartier, c'est juste le nom d'une place et de la station de métro qui permet de plonger, ou plutôt d'émerger directement dans la foule des vendeurs de fruits exotiques, tilapias, ignames, Subutex, bagues en vrai or, lunettes Chanel, héroïne, ceintures Gucci, sacs Vuitton, cigarettes Marlboro, pamphlets de Frantz Fanon, hachich, journaux kabyles, casse-croûtes tunisiens, audio-cassettes de prédicateurs salafistes, valium périmé, plats à couscous, produits miracles pour blanchir la peau, wax véritable, maïs grillé, kebab, crack et j'en passe, tout ce qui fait l'identité française de la Goutte d'Or et le charme du "marché exotique" de la rue Dejean.
Mais dans le temps il y avait un château, et il était (plus ou moins) rouge. Bon ici on ne voit pas bien mais il était censé être en pierre blanche et brique rouge, rappelant la Place des Vosges, ce qui avait alimenté la légende qu'il avait été construit par le Vert Galant pour Gabrielle d'Estrées. Mensonge, car la belle Gabrielle n'aurait jamais habité dans ce quartier perrave, et de toutes façons la construction du château date de 1780.
Le premier propriétaire de l’endroit, était un certain M. Christophe, subdélégué de l’intendance de Paris. Puis M. Jean Feutrier, directeur des impôts du Département de la Seine, métier rémunérateur, lui succéda. L'un de ses fils, Jean-François Hyacinthe, devint évêque de Beauvais et donna son nom à une rue de Montmartre. Le Roi (d'Espagne) Joseph, frère de Napoléon, y signa sa capitulation devant les Prussiens en mars 1814. Les Feutrier reprirent ensuite possession du domaine.
Le château, laissé à l’abandon, devint ensuite la propriété d’une ancienne vendeuse à la toilette, c'est-à-dire revendeuse de parures d'occasion, prêteuse sur gage, ou éventuellement usurière, une certaine Mlle Ozanne, qui y nourrissait des troupeaux de chats.
Le domaine, qui comportait un vaste parc entre les actuels boulevard Barbès et rue de Clignancourt, fut découpé et mis en vente par lots en 1844, ouvrant les rues Poulet et Custine. Un M. Boboeuf acheta le bâtiment et ce qui restait du terrain pour en faire le "bal du Château-Rouge". C'était la mode des bals populaires dits champêtres aux portes de Paris, où les bourgeois venaient s'encanailler (la canaille était l'ancêtre de la racaille), danser la polka et la mazurka, danses de couple autrement plus affriolantes que les contredanses où tout le monde se tenait en rang d'oignon.
Tout ceci nous amène en 1847.
La France de Louis-Philippe ploie sous la corruption, la crise industrielle et financière, les mauvaises récoltes, le chômage. La misère s'installe chez les ouvriers, la famine menace. Les Républicains, déçus par les résultats des élections censitaires d'août 1846, cherchent à faire campagne en contournant l'interdiction des réunions publiques instituée par Guizot.
M. Laurent-Antoine Pagnerre, sympathique libraire-éditeur, est secrétaire du Comité central des électeurs de l'Opposition du département de la Seine. Il réunit chez lui les opposants de toutes tendances et rédige une pétition appelant à la réforme électorale et parlementaire. C'est lui qui a l'idée, pour réunir des milliers de signatures, d'organiser des banquets. Le premier d'entre eux a lieu le 10 juillet 1847 au Bal du Château-Rouge. 1 200 personnes y participent, dont 86 députés.
Adolphe Thiers, toujour faux-cul, fait savoir qu'il s'associe de tout cœur à "l'impulsion vigoureuse que l'on voulait donner à l'opinion publique", mais qu'ayant été dans le passé chef du gouvernement de Louis-Philippe, il ne juge pas convenable de s'associer à une réunion où probablement certains orateurs attaqueront le règne de Louis-Philippe tout entier.
Quant aux rouges Armand Barbès et Auguste Blanqui, ils sont en prison...
"Le temps était splendide, raconte Garnier-Pagès député de la Sarthe, un des organisateurs. Amolli par la brise du soir, le soleil projetait sur la salle du banquet des flots mêlés de lumière et d'ombre. Autour de quatorze tables déroulées sous une vaste tente, se pressait l'assemblée (...). La musique, jetant aux vents du soir les plus beaux chants de la Révolution, célébrait cette double fête de la nature et de la pensée."
La campagne des "banquets républicains", appelés plus tard banquets révolutionnaires, a commencé. 50 banquets furent organisés dans toute la France, au cours des six mois suivants, réunissant plus de 20.000 personnes. Enfin, le 21 février 1848, le Préfet de Paris interdit un banquet prévu pour le lendemain aux Champs Elysées. Le 22 février, la foule se réunit sur la place de la Madeleine, and the rest is history, notamment la remarquable Histoire de la Révolution de 1848, par Daniel Stern, nom de plume de la Comtesse Marie d'Agoult.
C'est également Montmartre qui vit en juin les derniers soubresauts de cette révolution. A la fin de l'insurrection ouvrière, après que les barricades du faubourg Saint-Antoine et du faubourg Saint-Martin eurent été renversées par l'armée, les combats continuèrent à la Chapelle et à la Goutte d'Or, devenues depuis quelques années des quartiers ouvriers. Le Château Rouge fut réquisitionné pour cantonner l'armée. Les derniers insurgés tentèrent de se réfugier dans les carrières de Montmartre. L'armée les poursuivit dans le dédale des souterrains, et plus d'une centaine d'hommes y fut massacrée. Le général Cavaignac refusa d'indemniser Boboeuf (you know, the propriétaire) pour les dommages causés par les troupes, ce qui entraîna sa faillite.
Sources :
Maurizio Gribaudi, Michèle Riot-Sarcey : 1848, la révolution oubliée. Ed. La Découverte, 2009
Hélène Landre : Laurent-Antoine Pagnerre (1805-1854) : Le combat pour la République d'un libraire éditeur oublié : http://www.rouen.iufm.fr/publication/TRAMES/trames10/tr10_landre.pdf
Hervé David, le vieux Montmartre, iconographie : http://www.hervedavid.fr/francais/montmartre/vieuxmontmartre.htm
Noël Monnier : http://membres.lycos.fr/dixhuit/9806-bal_du_chateau_rouge.htm
Bernard Vassor : http://www.paperblog.fr/1984635/petite-histoire-du-chateau-rouge-a-montmartre/
Passage de la Butte, Roman feuilleton, épisode n°22 : http://www.passagedelabutte.net/index.php?option=com_content&view=article&id=152&Itemid=76
Mais dans le temps il y avait un château, et il était (plus ou moins) rouge. Bon ici on ne voit pas bien mais il était censé être en pierre blanche et brique rouge, rappelant la Place des Vosges, ce qui avait alimenté la légende qu'il avait été construit par le Vert Galant pour Gabrielle d'Estrées. Mensonge, car la belle Gabrielle n'aurait jamais habité dans ce quartier perrave, et de toutes façons la construction du château date de 1780.
Le premier propriétaire de l’endroit, était un certain M. Christophe, subdélégué de l’intendance de Paris. Puis M. Jean Feutrier, directeur des impôts du Département de la Seine, métier rémunérateur, lui succéda. L'un de ses fils, Jean-François Hyacinthe, devint évêque de Beauvais et donna son nom à une rue de Montmartre. Le Roi (d'Espagne) Joseph, frère de Napoléon, y signa sa capitulation devant les Prussiens en mars 1814. Les Feutrier reprirent ensuite possession du domaine.
Le château, laissé à l’abandon, devint ensuite la propriété d’une ancienne vendeuse à la toilette, c'est-à-dire revendeuse de parures d'occasion, prêteuse sur gage, ou éventuellement usurière, une certaine Mlle Ozanne, qui y nourrissait des troupeaux de chats.
Le domaine, qui comportait un vaste parc entre les actuels boulevard Barbès et rue de Clignancourt, fut découpé et mis en vente par lots en 1844, ouvrant les rues Poulet et Custine. Un M. Boboeuf acheta le bâtiment et ce qui restait du terrain pour en faire le "bal du Château-Rouge". C'était la mode des bals populaires dits champêtres aux portes de Paris, où les bourgeois venaient s'encanailler (la canaille était l'ancêtre de la racaille), danser la polka et la mazurka, danses de couple autrement plus affriolantes que les contredanses où tout le monde se tenait en rang d'oignon.
Tout ceci nous amène en 1847.
La France de Louis-Philippe ploie sous la corruption, la crise industrielle et financière, les mauvaises récoltes, le chômage. La misère s'installe chez les ouvriers, la famine menace. Les Républicains, déçus par les résultats des élections censitaires d'août 1846, cherchent à faire campagne en contournant l'interdiction des réunions publiques instituée par Guizot.
M. Laurent-Antoine Pagnerre, sympathique libraire-éditeur, est secrétaire du Comité central des électeurs de l'Opposition du département de la Seine. Il réunit chez lui les opposants de toutes tendances et rédige une pétition appelant à la réforme électorale et parlementaire. C'est lui qui a l'idée, pour réunir des milliers de signatures, d'organiser des banquets. Le premier d'entre eux a lieu le 10 juillet 1847 au Bal du Château-Rouge. 1 200 personnes y participent, dont 86 députés.
Adolphe Thiers, toujour faux-cul, fait savoir qu'il s'associe de tout cœur à "l'impulsion vigoureuse que l'on voulait donner à l'opinion publique", mais qu'ayant été dans le passé chef du gouvernement de Louis-Philippe, il ne juge pas convenable de s'associer à une réunion où probablement certains orateurs attaqueront le règne de Louis-Philippe tout entier.
Quant aux rouges Armand Barbès et Auguste Blanqui, ils sont en prison...
"Le temps était splendide, raconte Garnier-Pagès député de la Sarthe, un des organisateurs. Amolli par la brise du soir, le soleil projetait sur la salle du banquet des flots mêlés de lumière et d'ombre. Autour de quatorze tables déroulées sous une vaste tente, se pressait l'assemblée (...). La musique, jetant aux vents du soir les plus beaux chants de la Révolution, célébrait cette double fête de la nature et de la pensée."
La campagne des "banquets républicains", appelés plus tard banquets révolutionnaires, a commencé. 50 banquets furent organisés dans toute la France, au cours des six mois suivants, réunissant plus de 20.000 personnes. Enfin, le 21 février 1848, le Préfet de Paris interdit un banquet prévu pour le lendemain aux Champs Elysées. Le 22 février, la foule se réunit sur la place de la Madeleine, and the rest is history, notamment la remarquable Histoire de la Révolution de 1848, par Daniel Stern, nom de plume de la Comtesse Marie d'Agoult.
C'est également Montmartre qui vit en juin les derniers soubresauts de cette révolution. A la fin de l'insurrection ouvrière, après que les barricades du faubourg Saint-Antoine et du faubourg Saint-Martin eurent été renversées par l'armée, les combats continuèrent à la Chapelle et à la Goutte d'Or, devenues depuis quelques années des quartiers ouvriers. Le Château Rouge fut réquisitionné pour cantonner l'armée. Les derniers insurgés tentèrent de se réfugier dans les carrières de Montmartre. L'armée les poursuivit dans le dédale des souterrains, et plus d'une centaine d'hommes y fut massacrée. Le général Cavaignac refusa d'indemniser Boboeuf (you know, the propriétaire) pour les dommages causés par les troupes, ce qui entraîna sa faillite.
Le Bal du Château Rouge continua néanmoins de prospérer jusqu'à 1871, où une autre révolution eut définitivement raison de lui.
Le place des Hirondelles se situait au carrefour des rues de Clignancourt, Poulet, Myrha et Christiani. Ce nom ancien - le lieu n’a plus de nom aujourd’hui - lui venait de la Compagnie de l’Hirondelle dont les fiacres déposaient, en bout de ligne, les Parisiens se rendant au bal du Château Rouge.
En août 1870, alors que commence le siège de Paris par les Prussiens, le Château Rouge est à nouveau transformé en caserne, cette fois pour la garde nationale, c'est-à-dire les milices levées dans la population parisienne.
Le 18 mars 1871, jour où éclate l'insurrection de la Commune, lorsque le général Lecomte, qui a conduit les troupes du gouvernement de Thiers à l'assaut de Montmartre, est fait prisonnier par les habitants et les gardes nationaux, c'est au Château Rouge qu'il est d'abord amené. Du Château Rouge, il sera conduit en début d'après-midi jusqu'à un autre poste de la garde nationale, en haut de la Butte, où il sera fusillé.
Le Château Rouge ne se relèvera pas des événements de 1870 et 1871. Le bal survivra encore quelques années puis fermera. En 1881, une société immobilière rachète et démolit le bâtiment et le parc et fait construire à la place, par les architectes Richelieu frères et Cabon, treize immeubles de rapport. On peut encore les voir, avec leurs façades identiques à peu de chose près, du 42 au 54 de la rue de Clignancourt et du 7 au 13 bis de la rue Custine.
Maurizio Gribaudi, Michèle Riot-Sarcey : 1848, la révolution oubliée. Ed. La Découverte, 2009
Hélène Landre : Laurent-Antoine Pagnerre (1805-1854) : Le combat pour la République d'un libraire éditeur oublié : http://www.rouen.iufm.fr/publication/TRAMES/trames10/tr10_landre.pdf
Hervé David, le vieux Montmartre, iconographie : http://www.hervedavid.fr/francais/montmartre/vieuxmontmartre.htm
Noël Monnier : http://membres.lycos.fr/dixhuit/9806-bal_du_chateau_rouge.htm
Bernard Vassor : http://www.paperblog.fr/1984635/petite-histoire-du-chateau-rouge-a-montmartre/
Passage de la Butte, Roman feuilleton, épisode n°22 : http://www.passagedelabutte.net/index.php?option=com_content&view=article&id=152&Itemid=76
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