jeudi 4 mars 2010

Akbar, l'empereur éclairé

جلال‏الدين محمّد أكبر  alias Jalâluddin Muhammad Akbar naquit en 1542 à Umerkot, aujourd'hui au Pakistan, tandis que son père, le fils du fameux Babar, fondateur de la dynastie moghole, se trouvait en exil. (Je note à l'attention des Français incultes que Babar signifie lion en persan, et non éléphant.) 

De nombreux précepteurs successifs essayèrent en vain de lui apprendre à lire, ce qui ne l'empêcha pas de réfléchir.

Son père ayant eu la présence d'esprit de reconquérir son royaume quelques mois avant sa mort, Akbar fut proclamé Shahanshah, Roi des Rois, le 14 février 1556 à Kalanaur, au Penjab. Il se mit aussitôt à batailler et annexa successivement le Bihar, le Gujrat, le Bengale, le Cachemire, le Sind, l'Orissa, le Balouchistan et j'en passe, jusqu'à devenir le plus grand empereur de l'Inde, Akbar le Grand, ou Akbar Akbar, puisque Akbar signifie déja le grand, comme vous le savez.

Mais là n'est pas l'intérêt de l'histoire : c'est son exceptionnelle ouverture d'esprit qui fit de son règne l'apogée de la dynastie moghole en Inde.
Officiellement musulman sunnite orthodoxe, l'une de ses premières décisions fut de supprimer les impôts prélevés sur les non musulmans en terre d'islam. Il épousa une princesse hindoue et permit l'entrée des hindous dans l'armée et la noblesse. Il autorisa la construction de temples hindous, tout en interdisant la pratique du sâti, le suicide des veuves.

Pour fêter sa victoire sur le Gujrat, il fit construire une nouvelle capitale près de Agra, Fatehpur Sikri, la ville de la victoire. Sa cour était remplie de peintres, musiciens et poètes de toutes les religions. Son musicien favori, le fameux Tansen, qui avait son pavillon dans la cour du palais, était hindou.

Profondément intéressé par les questions philosophiques et religieuses, Akbar fit construire en 1575 à Fatehpur Sikri un pavillon appelé Ibadat Khana ("Maison du culte") où des théologiens, mystiques et intellectuels de la cour étaient invités à débattre des questions de spiritualité. Ces discussions, réservées d'abord aux musulmans, résultaient le plus souvent en altercations, cris et insultes. Au lieu de renoncer à l'expérience, Akbar ouvrit au contraire l'Ibadat Khana à toutes les religions qu'il put trouver dans le secteur, invitant des représentants des brahmanes, jaïns, parsis, juifs, catholiques et même athées.
Deux Jésuites de Goa furent invités, dont le catalan Antoni de Montserrat, qui fit un compte-rendu élogieux de son séjour de trois ans à la cour.

Ceci contribua effectivement à élargir le débat jusqu'à inclure des interrogations sur la validité du Coran ou l'utilité de Dieu, mais non à calmer les esprits, et pour éviter la baston générale, Akbar fit rédiger un guide de la conversation civilisée, et dans son élan posa les fondements juridiques de la laïcité de l'Etat, statuant que personne ne devait être inquiété à cause de sa religion, et chacun pouvait adopter la religion qu'il souhaitait.
Amartya Sen* fait remarquer facétieusement qu'à la même époque, à Rome, Giordano Bruno montait sur le bûcher pour hérésie.

Malgré les vociférations des théologiens, Akbar considérait que les religions comprenaient certains aspects bénéfiques, surtout pour le peuple, et pour simplifier inventa une nouvelle religion combinant les meilleurs morceaux de chacune, appelée Din-i-Ilahi, ou la religion de Dieu. Cette religion, qui était plutôt une éthique, interdisait les sacrifices d'animaux et ne prévoyait pas de clergé. Malheureusement cette initiative n'eut aucun succès.

A ce stade, les imams des environs commençaient à se toucher le front et se préoccuper sérieusement de l'hérésie de l'Empereur... Akbar mourut en 1605, et le théologien islamique Abdul Haq voulut bien reconnaître que malgré ses "innovations", il était mort en bon musulman.
On peut voir son tombeau à Sikhandra, reflet du paradis musulman où les biches et les oiseaux se promènent sur les pelouses.


Sources : *Amartya Sen : The argumentative Indian, Writings on Indian Culture, History and Identity, Penguin, 2005.

3 commentaires:

  1. "Je note à l'attention des Français incultes que Babar signifie lion en persan, et non éléphant."
    --> Merci beaucoup pour cette note mais comment je vais expliquer ça à mon fils maintenant ?

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  2. Est ce qu'il n'ay aurait pas une petite erreur dans la date?
    "Akbar fit construire en 1775 à Fatehpur Sikri un pavillon appelé Ibadat Khana…"

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  3. But of course, it's 1575. Je suis dyslexique avec les chiffres... Merci Vince !

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