dimanche 30 décembre 2012

Histoires de FLOPS


Qu'est-ce qu'un FLOPS ? C'est un acronyme. Souvenez-vous, j'adore les acronymes.

Il signifie "FLoating-point Operations Per Second", ou en français « opérations à virgule flottante par seconde ». Notons que le S final est là pour Second, ce n'est pas un pluriel, on dit donc un flops, des flops.
(Je vais laisser tomber tout de suite les majuscules, c'est plus intime).

A quoi ça sert ? Beaucoup savent déjà que le flops est une unité de mesure de la puissance d'un ordinateur, ou pour être plus précis de sa capacité de calcul.

Pour faire très simple, une opération à virgule flottante est une opération au sens commun du terme (addition, soustraction, etc.) qui porte sur des nombres qui ne sont pas entiers, et qui donc tendent à posséder une virgule. En informatique, un nombre à virgule fixe se code 22,5, et c'est tout.
Un nombre à virgule flottante se code d'un coté 225, et à part la position de la virgule.
Ca prend un petit plus de place, mais ça permet de coder des tas de nombres différents : 2,25 ou 22,5 ou 0,00225 ou 25500 etc.
Pour les plus accros, voir la définition de wikipédia, dans laquelle personnellement je suis larguée dès la deuxième ligne.

En résumé un flops est, comme son nom l'indique, une opération mathématique par seconde.
Cette unité trouve son utilité pour les mesures de puissance des bien nommés super-calculateurs, des ordinateurs qui servent à résoudre des équations très compliquées, en et avec de très grands nombres, dans le domaine de la recherche scientifique.

Ceci pour dire que dans l'usage dit domestique d'un ordinateur, lorsque vous et moi vérifions l'addition sur le ticket de Carrefour, nous ne faisons jamais qu'une seule opération à la fois. Un temps de réponse inférieur à un dixième de seconde étant considéré par un (désespérément limité) opérateur humain comme instantané, une calculette simple n'a besoin que d'une dizaine de flops pour être considérée comme fonctionnelle.

C'est là que je voulais en venir avec ma nuance subtile entre puissance et capacité de calcul d'un ordinateur : les flops ne sont pas la panacée, et s'ils sont un sujet de préoccupation au CERN, par exemple, un architecte ou un designer s'en battent l'oeil et feraient mieux de se pencher sur leur carte graphique.

Ces réserves étant posées, les ingénieurs, informaticiens et chercheurs qui comme chacun sait sont de grands enfants, adorent jouer à qui a le plus gros, et adorent inventer des nouveaux mots, ont donné à la civilisation le Top 500 des super-calculateurs les plus puissants du monde, lequel ne saurait être pleinement apprécié sans ceci :

Faisons un peu de grec : kilo signifie "mille" en grec, ça tombe bien.
Mega signifie "grand", c'est mille fois mille, c'est à dire un million.
Giga signifie "géant", et égale un milliard, jusque là ça va.

Téra vient du grec teras, qui veut dire "monstre", comme dans "tératologie".
Il a été choisi en 1960 pour désigner mille milliards dans le système international d'unités.

En 1975, la communauté scientifique a décidé qu'elle avait besoin d'un plus grand multiplicateur et qu'elle était à bout de superlatifs grecs. Elle a donc adopté un système relativement plus rationnel pour inventer des préfixes : péta veut dire cinq, parce qu'un million de milliards est égal à mille à la puissance cinq.

Sur cette lancée ont été adoptés en 1991 exa (six) : un milliard de milliards, zetta (sept) : mille milliards de milliards, et yotta (huit) (à ne surtout pas confondre avec iota), un million de milliards de milliards.

Ces préfixes peuvent vous sembler abstraits mais ils sont très faciles à placer dans une conversation, surtout entre astronomes, il faut reconnaître. Vous pouvez par exemple remarquer négligemment que l'univers visible a un rayon d'une centaine de yottamètres, ou que l'énergie reçue du soleil par la terre est estimée à 174 pétawatts.

Cray II
Mais pour en revenir aux ordinateurs, c'est communément en gigaflops que se mesure leur capacité, c'est à dire en milliards d'opérations par seconde.

Quand j'étais petite, l'ambition des ingénieurs était de passer la barre du gigaflops. La course a duré longtemps, suffisamment pour que l'événement en 1985 reste dans les annales et le nom du vainqueur aussi : le Cray II.
Il était encore assez encombrant mais son design était plutôt étudié par rapport à ce qu'on avait vu avant. Le système d'exploitation était UNIX, ha la la les souvenirs du siècle dernier...

Les ordinateurs Cray portent le nom de leur créateur et fondateur de la société Cray research, Seymour Cray (1925-1996).

Le Top500 des super-calculateurs est publié deux fois par an depuis 1993, en juin à l'International Supercomputing Conference, née en même temps que le Top500 à l'Université de Mannheim en Allemagne, et en novembre à la ACM/IEE supercomputing conference, l'ACM étant la vénérable Association for Computing Machinery, fondée en 1947, et l'IEE l'Institute of Electrical and Electronics Ingeneers, toutes ces institutions étant, il faut le noter, sans but lucratif.

Le premier ordinateur à surpasser le téraflops (souvenons-nous, mille milliards de flops) en 1997 s'appelle ASCI Red, du nom du programme du gouvernement américain Advanced Strategic Computer Initiative, which you don't really want to know too much about, et Red, well, parce qu'il est rouge. La technologie était fournie par Intel Corp.

Comme dans les jeux vidéo, aussitôt franchie la barre du téraflops les ingénieurs se lancèrent à l'assaut du niveau supérieur, qui porte même un nom, celui de petascale, c'est à dire capable d'une performance supérieure à un pétaflops, c'est à dire encore un million de milliards de flops.

And the winner is : Roadrunner, d'IBM, en 2008. Le Jaguar, de Cray, a passé le petaflops la même année en seconde position, ce qui prouve que les ingénieurs n'y connaissent rien en éthologie, car le guépard est bien plus rapide que le jaguar, mais il s'appelle cheetah en anglais, ce qui prête à confusion, enfn bref, le voici, et il est beaucoup plus photogénique que le Roadrunner.

Cray a dominé le Top500 dans les années 90, avant de laisser la prééminence à IBM dans les années 2000, avec Deep Blue, célèbre pour sa partie d'échec avec Gary Kasparov, et la génération des Blue Gene. Roadrunner est aussi un ordinateur IBM, il aligne 12.690 processeurs et coûte 133 millions de dollars.

Aux dernières nouvelles, qui datent de novembre 2012, Cray a repris la main avec le Titan du Oak Ridge National Laboratory, mesuré à 17,59 pétaflops. Son système d'exploitation est Linux. Il fait de la recherche nucléaire.


A l'occasion du 20ème anniversaire du Top500, le site éponyme top500.org a publié un diaporama présentant tous les N°1 depuis la création du classement :


TOP500 - 20th Anniversary from top500

Les données du Top500 montrent que la progression en puissance des supercalculateurs suit un tracé qui rappelle la loi de Moore ; en fait, elle est plus rapide. L'échelle de gauche est en gigaflops. En rouge la performance du premier du classement, en jaune celle du dernier du classement (n°500) et en bleu la performance additionnée des 500 classés.



Tout ceci est bel et bon, mais on s'est rendu compte que plus on multiplie les processeurs, plus ça bouffe de l'électricité, et plus ça chauffe. C'est une des raisons pour lesquelles les supercalculateurs ne se miniaturisent pas mais au contraire prennent de plus en plus de place. Les circuits de refroidissements par eau ou par air sont l'un des principaux casse-tête des ingénieurs.

Autrefois la fierté des universités scientifiques, ces monstres ne peuvent plus être utilisés que par des laboratoires gouvernementaux parce qu'ils coûtent des millions de dollars par an en électricité. Il existe d'ailleurs un classement en fonction de la performance énergétique, en gigaflops par watt, qui s'appelle Green500, dans lequel IBM se défend aussi très bien.
Le Oak Ridge National Laboratory est installé dans le Tennessee à cause du faible coût de l'électricité dans la région. Le Beacon, qui a remporté cette année le Green500, se trouve également à l'Université du Tennessee.

De plus, pour atteindre le prochain niveau qui est l'exascale, si vous m'avez suivie, les ingénieurs s'accordent à penser qu'il faudra d'une part repenser en grande partie les systèmes d'exploitation actuels, mais aussi améliorer drastiquement la performance énergétique, faute de quoi ils voient se profiler le bout de la belle courbe ascendante de la loi de Moore, aussi appelé le Mur. C'est pour ça qu'on dit : "aller dans le mur" (non je plaisante).

Mais pendant ce temps, avec les progrès techniques dans le domaine des réseaux informatiques, les chercheurs fauchés se sont vite rendu compte qu'ils pouvaient aligner un certain nombre de PC tout à fait ordinaires et obtenir des performances très honorables pour une fraction du prix d'un supercomputer. L'objet qui en résulte est en général assez moche et a reçu le nom de Beowulf à la NASA en 1994. Ici le Beowulf de l'Université MacGill de Toronto, qui étudie les pulsars. Cette technique s'appelle cluster computing.

Avec le développement d'internet, l'idée est apparue de former des structures entièrement virtuelles en mettant en réseau de nombreux ordinateurs qui n'avaient plus à se trouver au même endroit, c'est le grid computing.

De là naturellement a découlé l'initiative de mettre à profit la puissance inutilisée du PC de tout un chacun, où qu'il se trouve, ou même des consoles de jeux et des smartphones. Cette forme d'informatique collaborative, ou bénévole, volunteer computing en anglais, a pris son essor dans les années 90, et trouve aujourd'hui sa principale réalisation dans le Berkeley Open Infrastructure for Network Computing, fondé en 2002 à l'Université de Californie du même nom (Berkeley), dont l'acronyme délicieux est BOINC.

Or la puissance totale de BOINC annoncée par lui-même au 24 décembre 2012 était de 7279 pétaflops, c'est-à-dire plus de 7 exaflops, si je ne m'abuse. Bien sûr le réseau n'est pas dédié à une seule tâche puisqu'il a des millions d'utilisateurs pour 49 projets en activité ouverts au grand public à l'instant où je vous écris. Mais enfin il est rassurant de savoir que nous avons déjà un BOINC dans l'exascale, au cas où il faudrait donner un grand coup de collier pour résoudre un gros problème urgent...

Vous aussi vous pouvez prêter votre laptop pour aider à faire des calculs hyper-longs et compliqués pour faire progresser la science ! Les projets en cours incluent par exemple la lutte contre le paludisme, l'exploration de la voie lactée, ou le déchiffrage de deux messages codés avec Enigma en 1942. N'est-ce pas fascinant ?

Il n'y a pas que les (relativement) fauchés qui ont opté pour cette solution. Le CERN, home sweet home du Grand Accélérateur de Hadrons, a des besoins conséquents en informatique, vu qu'il a pas mal de données à analyser : les détecteurs de particules balancent 100 térabytes de données par seconde à l'ordinateur chargé de les trier et de ne garder que cent événements par seconde, ce qui fait encore beaucoup : environ 300.000 milliards de collisions entre protons analysées depuis son démarrage, ou 300 téracollisions, si vous préférez...

Le CERN a mis en réseau quelques PC sur place, comme on le voit sur la photo, pour opérer le premier tri, les données étant ensuite analysées par le Worldwide LHC Computing Grid, WLCG*, ou pour les intimes : The Grid, le plus grand réseau du monde dédié à un projet unique.
Pas donné non plus remarquez : lors de son inauguration en 2008 le CERN annonçait que le Grid avait coûté 500 millions d'euros en développement, et prévoyait 14 millions par an de frais de maintenance...

And, guess what ? The Grid utilise en partie les ressources des volontaires de BOINC. On peut donc (presque) traquer les bosons de Higgs depuis chez soi ! En tous cas on peut participer à cette vaste entreprise. Ca s'appelle LHC@home.
Come on people ! Il n'y a pas qu'un boson de Higgs, il y en a plusieurs ! Mark my words !

Conclusion, les superordinateurs c'est pas mal mais un peu surfait, les gigaflops c'est utile quand on a des particules subatomiques à identifier ou des génomes à séquencer, mais avouons-le c'est pas donné à tout le monde tous les jours, en règle générale on a toujours beaucoup plus de flops chez soi que ce dont on a vraiment besoin, MAIS on peut en faire cadeau à la science, et ça c'est cool !

Enfin, si vous voulez savoir combien de gigaflops fait votre ordinateur ou tout au moins celui sur lequel vous êtes en train de lire ces lignes fascinantes, vous pouvez regarder sur http://whohasthefastestcomputer.com/flopsmeter/, sans inscription ni téléchargement ni obligation d'achat. Médor II mon nouveau laptop est à 15,80, modeste mais encore environ le double de la moyenne des ordinateurs reçus pour Noël par les particuliers, d'après le site.


P.S. : La première photo en haut n'est pas seulement un tas de détritus pour faire rire, c'est un "supercomputer" construit par un étudiant en 2007 pour 1256 dollars et baptisé Microwulf, en référence à Beowulf évidemment.

Mise à jour 18 juin 2013 : la performance a presque doublé depuis novembre dernier : le nouveau champion des super-ordinateurs est chinois, avec 33,86 petaflops ; il s'appelle Tianhe-2. http://www.leparisien.fr/high-tech/un-super-ordinateur-chinois-n-1-mondial-18-06-2013-2907233.php


* Un acronyme à l'intérieur d'un autre acronyme, hooo !

Sources :

Wikipédia
http://www.ohgizmo.com/2007/09/03/1256-microwulf-supercomputer-smaller-than-bread-box-runs-at-2625-gigaflops/
http://www.zdnet.fr/actualites/la-barre-mythique-du-petaflop-depassee-39601782.htm
http://royal.pingdom.com/2009/06/11/10-of-the-coolest-and-most-powerful-supercomputers-of-all-time/
http://www.extremetech.com : Exascale supercomputer hardware is easy ; it's the software that's holding us back
http://www.msnbc.msn.com : Next generation supercomputers have huge energy cost.
http://www.swissinfo.ch : Le_CERN_inaugure_son_superordinateur_planetaire.
Aidez les physiciens du CERN à traquer le boson de Higgs. LeTemps.ch

dimanche 9 décembre 2012

Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au Sultan de Turquie


Les Cosaques Zaporogues sont un peuple qui combattit pour son indépendance, guerroya avec les Tatars, les Polonais, les Ottomans, les Russes, les autres Cosaques, et généralement se rendit insupportable entre 1552 et 1775, sur les rives du Dniepr inférieur, quelque part entre les actuelles Dniepropetrovsk et Nikopol, au nord de la mer d'Azov, je ne sais pas si vous situez, demandez donc à Google (ou à Gogol).


Le sultan Mehmet IV
La lettre au Sultan est de loin l'épisode le plus fameux de l'histoire de la Zaporoguie. Elle fait partie comme qui dirait des contes et légendes d'Ukraine. En 1676, alors que les Zaporogues viennent de remporter une importante victoire contre les Turcs, le sultan Mehmet IV, empereur des Ottomans, leur adresse la missive suivante, non dépourvue d'arrogance, il faut bien le reconnaître* :
"En tant que sultan, fils de Mahomet, frère du Soleil et petit-fils de la Lune, Vice-roi par la grâce de Dieu des royaumes de Macédoine, de Babylone, de Jérusalem, de Haute et Basse Égypte, Empereur des Empereurs, Souverain des Souverains, Invincible Chevalier, Gardien indéfectible jamais vaincu du Tombeau de Jésus Christ, Administrateur choisi par Dieu lui-même, Espoir et Réconfort de tous les musulmans, et très grand défendeur des chrétiens, J’ordonne, à vous les Cosaques zaporogues de vous soumettre volontairement à moi sans aucune résistance."
Signé : Sultan Mehmet IV


Les Zaporogues, ça les fait hurler de rire. Ils décident aussitôt de répondre à l'effronterie du Sultan par une lettre qui est certes fort injurieuse, mais qui, si l'on regarde bien, répond point par point à celle du Sultan.

"À Toi Satan turc, frère et compagnon du Diable maudit, serviteur de Lucifer lui-même, salut ! 
Quelle sorte de noble chevalier au diable es-tu, si tu ne sais pas tuer un hérisson avec ton cul nu ? 
Le Diable chie, et ton armée mange. 
Tu n'auras jamais, toi fils de putain, les fils du Christ sous tes ordres : ton armée ne nous fait pas peur et par la terre ou par la mer nous continuerons à nous battre contre toi. 
Toi, marmiton de Babylone, charretier de Macédoine, brasseur de bière de Jérusalem, enculeur de chèvre d'Alexandrie, porcher de Haute et Basse Égypte, truie d'Arménie, giton tartare, bourreau de Kamenetz, être infâme de Podolie, petit-fils du Diable lui-même, 
Toi, le plus grand imbécile malotru du monde et des enfers et devant notre Dieu, crétin, groin de porc, cul de jument, bâtard de boucherie, front pas baptisé, baise ta propre mère ! 
Voilà ce que les Cosaques ont à te dire, à toi sous produit d'avorton ! 
Tu n'es même pas digne d'élever nos porcs. 
Tordu es-tu de donner des ordres à de vrais chrétiens !! 
Nous n'écrivons pas la date car nous n'avons pas de calendrier, le mois est dans le ciel, l'année est dans un livre et le jour est le même ici que chez toi et pour cela tu peux nous baiser le cul !"
Signé : le Koshovyj Otaman Ivan Sirko et toute l'Armée Zaporogue


Voila qui est bien envoyé, même si l'affaire du hérisson me laisse un peu perplexe.

Le peintre russe Ilya Repine, dans un tableau géant (2m03 x 3m58) commencé en 1880 et terminé en 1891, imagine de manière plutôt baroque les Zaporogues en train d'écrire la lettre. Ivan Sirko, Otaman, c'est-à-dire chef militaire, et kharakternik, c'est à dire Chaman, des Zaporogues, celui qui fume la pipe en roulant des gros yeux, écoute ses officiers dicter la lettre en rivalisant de grossièreté. Tout le monde se marre, même le scribe a du mal à garder son sérieux, comme on le voit dans ce détail.

De fait, Repine présentait son tableau comme une étude du rire.
Le Tsar Alexandre III le lui acheta 35000 roubles, ce qui en fit le tableau russe le plus cher de son temps.
Il se trouve aujourd'hui au Musée russe de Saint-Petersbourg.

Plus tard, Guillaume Apollinaire livra aussi son interprétation de la lettre au Sultan, sous le nom de "Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople", dans le recueil de poèmes "Alcools" paru en 1913.


Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes Sabbats

Poisson pourri de Salonique
Long collier de sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique

Bourreau de Podolie Amant
Des plaies et des ulcères
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments


Et c'est ainsi que l'on peut rester dans l'histoire, sans pyramide ni monument, sans même un livre, mais seulement avec une lettre, et d'injures qui plus est...



*J'ai un peu arrangé la traduction de Wikipédia

Sources : Wikipedia
http://surfacefragments.blogspot.com/2012/06/zaporozhian-cossacks-by-ilya-repin.html

dimanche 25 novembre 2012

Les aventures de Marguerite Alacoque, et ce qu'il en advint par la suite

Marguerite Alacoque naquit le 22 juillet 1647 dans une famille aisée de Bourgogne. Son père est juge et notaire royal des seigneuries du Terreau, de Corcheval et autres lieux. Toute petite déjà Marguerite aimait se cacher dans les bois pour prier et se prosterner devant la statue de la vierge Marie. (Il faut tenir compte du fait que les sources concernant sa vie sont hagiographiques, au sens littéral du terme, c'est à dire relatives à la biographie des saints, on va y revenir, mais beaucoup plus tard.)

Eduquée au couvent des Ursulines, l'hagiographie, donc, rapporte qu'elle pratiquait dès l'âge de neuf ans "de sévères mortifications de son corps". Malgré tous mes efforts, je n'ai pas pu trouver sur internet des détails croustillants à ce sujet... Elle fut bientôt toute maigre et malade et on la ramena à la maison, où elle resta quatre ans sans pouvoir marcher. Ce n'est qu'après avoir fait voeu de se consacrer à la vie religieuse qu'elle fut, bien sûr, miraculeusement guérie.

A 17 ans, au cours d'une flagellation (aha !) Jésus en personne lui apparut pour lui faire une scène de jalousie parce qu'elle avait été au bal. Dès lors, contrite, elle se décida à entrer au couvent, au grand désespoir de sa famille. Elle finit tout de même par obtenir son admission au couvent de la Visitation de Paray-le-Monial sous le nom de Marguerite-Marie, à 24 ans, en 1671. Là, elle s'adonna à l'extase mystique et aux plaisirs masochistes les plus extravagants, écrivant des lettres d'amour à Jésus avec son sang, ou se forçant à manger du fromage alors qu'elle détestait ça !

A partir de 1673, Jésus se met à lui parler de son coeur. Voici ce qu'elle en écrit : "Ce Coeur divin me fut représenté comme dans un trône tout de feu et de flammes, rayonnant de tous côtés, plus brillant que le soleil et transparent comme un cristal. La plaie qu'il reçut sur la Croix y paraissait visiblement. Il y avait une couronne d'épines autour de ce divin Coeur et une croix au-dessus. Mon divin Maître (...) m'a encore assuré qu'il prenait un singulier plaisir d'être honoré sous la figure de ce Coeur de chair, dont il voulait que l'image fût exposée en public, afin, ajouta-t-il, de toucher le coeur insensible des hommes, me promettant qu'il répandrait avec abondance sur le coeur de tous ceux qui l'honoreront tous les trésors de grâces dont il est rempli et que partout où cette image serait exposée, pour y être singulièrement honorée, elle y attirerait toutes sortes de bénédictions."

On ne peut pas être plus clair et précis.  Marguerite fit un dessin dudit Sacré Coeur. On la voit ci-dessus présentant son nouveau logo.

 Les Visitandines, qui était d'un ordre plutôt discret, trouvaient que la piété de Marguerite et ses communications "intimes et continuelles" avec Jésus frisaient l'outrance, voire l'outrecuidance, en un mot qu'elle faisait rien qu'à se faire remarquer. Mais bientôt la renommée de Marguerite excéda les frontières du Charolais, et les Jésuites, à qui rien n'échappait en ces temps, prirent l'affaire en main.

Claude La Colombière
En 1675, Claude La Colombière est nommé recteur du collège de Paray-le-Monial. Professeur d'humantés, il a l'oreille de la Cour, pour avoir été le précepteur des enfants de Colbert, ministre des finances du roi Louis XIV. Il ne tarde pas à rencontrer Marguerite et à la convaincre qu'il est bien le "parfait ami et serviteur" que Jésus lui a promis de lui envoyer.

C'est La Colombière qui consacra ses talents d'écrivain prolifique à la promo du Sacré Coeur. Il fut ensuite envoyé à Londres comme confesseur de la Duchesse d'York, future reine d'Angleterre, ce qui ne lui réussit pas puisqu'il y attrapa une maladie de poitrine et une condamnation à mort pour complot papiste. Finalement condamné au bannissement, il revint mourir à Paray-le-Monial, probablement de la tuberculose.

A partir de 1675, comme par hasard, les coups de fil de Jésus à Marguerite sont destinés directement à Louis XIV : " Le Père Éternel (...) veut établir son empire dans le coeur de notre Grand monarque, duquel il veut se servir pour l’exécution de ses desseins. " Il veut "faire construire un édifice où sera le tableau de ce divin Coeur, pour y recevoir la consécration et les hommages du Roi et de toute la cour. Dans cet édifice le chef de la nation française reconnaîtra l’empire du divin Coeur sur lui-même et la nation, il proclamera sa royauté, se dira lieutenant du Christ ". Conclusion : " Je prépare à la France un déluge de grâces lorsqu’elle sera consacrée à mon divin coeur. "

Bon, c'est là que je voulais en venir. Voici quelques minutes que mes quatre fidèles lecteurs se touchent le front, se tordent les mains ou se rongent les ongles en se demandant avec angoisse si je n'ai pas sombré dans la religion, et à quoi rime tout à coup ce baratin théologique insipide. N'ayez pas peur ! Comme disait Jean-Paul II (non je blague). C'est que je voulais comprendre cette histoire de "consacrer la France au Sacré Coeur", d'où ça vient, et qu'est-ce que ça veut dire.

En réalité les révélations de la pauvre Marguerite tombent à pic. Depuis 1671, le Père Jean Eudes, Oratorien et fondateur de la Société des prêtres de Jésus et de Marie, dite des Eudistes, prêche à la cour de Versailles le culte du sacré coeur. Il a installé le séminaire des Eudistes à Caen et a posé en 1664 la première pierre d'une église dédiée "aux très saints coeurs de Jésus et de Marie". Il cherche de l'argent pour finir son église.

Mais voila que Louis XIV se fâche. Ayant appris que le Père Eudes dans un ancien sermon avait considéré qu'il fallait "soutenir toujours, même en matière douteuse, l'autorité du pontife romain",  il lui retire sa protection le 8 septembre 1673, puis, par lettre de cachet du 14 avril 1674, il le renvoie au séminaire de Caen. En 1674 également, le pape Clément X autorise la dédicace de l'église de Caen au Sacré Coeur.

A la lumière de ces événements, on comprend mieux la démarche de La Colombière, et si les sources historiques n'ont jamais pu établir que Marguerite ait eu connaissance des oeuvres de Jean Eudes, il n'en demeure pas moins que toute cette affaire de Sacré Coeur est un détail qui s'inscrit dans la vaste et séculaire lutte pour le pouvoir entre le pape et le roi de France. Détail qui n'est pas négligeable politiquement, comme on va le voir par la suite.

A partir de 1675 le culte populaire du sacré coeur se répand dans toute la chrétienté. Il a encore aujourd'hui un franc succès en Amérique latine, où certaines écoles catholiques portent des noms tels que "école du Sacré Coeur Sanglant de Notre Seigneur Jésus et du Très-Saint Agneau Pascal" assorti d'une représentation de l'organe en question d'un réalisme si saisissant qu'il doit donner des cauchemars aux petits enfants des dites écoles.

Mais du côté politique, rien à faire. Marguerite continue jusqu'à sa mort en 1690 d'essayer de faire entendre son message au roi. Elle demande au fameux père La Chaise, confesseur du roi, de transmettre les commandes de Jesus himself, mais il n'en fait rien. En 1682, la déclaration des quatre articles, rédigée par Bossuet, fixe les libertés de l'église gallicane. Louis XIV est en conflit ouvert avec le pape Innocent XI. Les Eudistes ont perdu la partie.

A partir de 1675 aussi, une partie du clergé et de la société française appelle de ses voeux cette fameuse consécration de la France au Sacré Coeur. Périodiquement, une bonne soeur par ci par là renoue avec les visions et les prédications de Marguerite Alacoque. En 1720, Anne-Madeleine Rémusat obtient de Mgr de Belsunce, évêque de Marseille (celui du cours Belsunce), la consécration de la ville et de son diocèse au sacré coeur de Jésus pour échapper à la peste.

François-Louis Hébert
Les adorateurs du Sacré Coeur reviennent à la cour avec Marie Leszczynska, reine de France, la femme de Louis XV, qui avait été élevée par les Visitandines à Varsovie. Prenant les choses dans le bon ordre, elle commença par obtenir l'autorisation de l'assemblée des évêques de France pour instituer la fête du sacré coeur dans tous les diocèses, puis la confirmation du pape en 1765. Rien là qui ne puisse remettre en cause l'autonomie de l'église gallicane.

Mais vint la révolution : le 12 juillet 1790, la Constituante vote la Constitution civile du clergé. C'est la cata pour les cathos. Pie VI la condamne en avril 1791. Les 167 monastères de la Visitation en France s'emploient également à la rejeter. Le sacré-coeur devient l'emblème de la contre-révolution. François-Louis Hébert, supérieur général de la congrégation des Eudistes, tout droit sorti du séminaire de Caen, alimente lui aussi l'opposition depuis la maison des Eudistes de Paris, rue Mouffetard. En 1792, il est nommé confesseur de Louis XVI, après que son précédent confesseur, le curé de Saint-Eustache, eut prêté serment à la constitution civile du clergé.

Le père Hébert reste aux cotés de Louis XVI pendant la prise des Tuileries et jusqu'à son emprisonnement au temple. Arrêté le 12 août 1792, Hébert sera tué à la prison des Carmes le premier jour des massacres de septembre. Or, à partir de 1792 commence à circuler un document intitulé "Voeu par lequel Louis XVI a dévoué sa Personne, sa Famille et tout son Royaume au Sacré-Coeur de Jésus", dont on dit, dont on dit encore aujourd'hui, qu'il a été soit recueilli pieusement par Hébert, soit rédigé à la prison du temple.

Dans ce "voeu de Louis XVI", connu à l'époque sous le nom de "prière de Louis XVI au Temple" qui est un faux très probablement fabriqué par Hébert, le roi prétendument s'engage, s'il recouvre la liberté, à révoquer la constitution civile du clergé, à rétablir une fête solennelle en l'honneur du sacré-coeur de Jésus, à ériger dans une église une chapelle ou un autel dédié au sacré-coeur, et enfin il consacre la France au sacré-coeur.

Tout cela avait de quoi inspirer les papistes, notamment les Vendéens et Chouans, à adopter le sacré coeur comme emblème. De leur coté, les révolutionnaires avaient tendance à décapiter sous la terreur les personnes arrêtées arborant le sacré coeur ou en possession de la "prière de Louis XVI". Bref, comme dirait Nicolas Sarkozy, c'était un sujet clivant.

La bannière du sacré coeur est encore brandie aujourd'hui par les royalistes et chrétiens extrémistes, je l'ai vue l'année dernière à Paris, dans une manifestation contre la pièce de théâtre Golgota Picnic, jugée blasphématoire.

Or donc gardons à l'esprit que les notions de soumission du pouvoir temporel au pape, de contre-révolution, de consécration de la France au sacré coeur et d'érection d'une église dédiée au sacré coeur sont intimement liées depuis les origines.

Il est temps de revenir aux aventures, posthumes cette fois, de Marguerite Alacoque. L'enquête en vue de sa béatification se poursuit au Vatican pianissimo depuis 1714. Après 110 ans de réflexion, elle est proclamée Vénérable par Léon XIII en 1824, peut-être galvanisé par un nouveau message en 3D de Jésus, adressé cette fois à une certaine Marie de Jésus, religieuse de la congrégation des chanoinesses régulières de Saint Augustin, plus connue sous le nom de couvent des oiseaux.

Jésus commence par assurer à Marie du même nom que le voeu de Louis XVI est authentique ; que c'est lui-même qui l'a composé et prononcé. Tiens tiens... Il lui répète sur tous les tons qu'il désire toujours aussi ardemment que ce voeu soit exécuté. Les mauvaises langues feraient remarquer que Jésus à son tour aurait pu être inspiré par le fait que Louis XVIII, après avoir restauré la royauté en France, était occupé en 1823 à mourir d'hydropisie, de la goutte, de la gangrène et autres maladies répugnantes, pendant qu'à la Chambre, les ultras votaient des lois liberticides et préparaient l'avènement de Charles X.

En tous cas, une fois de plus, les voeux de Jésus ne sont pas entendus. Mais aussi, quelle idée de ne s'adresser qu'à des religieuses cloîtrées ? Que n'a-t-il causé au Roi lui-même ? Ou bien publié une lettre ouverte dans le Moniteur Universel ?

Les visitandines de Paray-le-Monial continuent de leur coté de faire la promo de Marguerite.
Elles distribuent des images pieuses et des médailles miraculeuses, publient des ouvrages religieux qui toujours rappellent que le "salut de la France" est lié à la dévotion au coeur de Jésus.

Enfin, Marguerite est béatifiée par Pie IX en 1864. La France du second empire est une espèce de monarchie constitutionnelle. La politique italienne de Napoléon III donne du mouron aux papistes français. Il a guerroyé avec l'Autriche et permis l'unification de l'Italie en 1861, ce qui menace directement les Etats pontificaux. Pour calmer l'ire des catholiques français, l'empereur laisse des troupes à Rome pour empêcher son annexion par le royaume d'Italie, dont la capitale est à Florence. C'est l'époque des chemises rouges de Garibaldi. Les Français se battent aux cotés des troupes pontificales contre les Italiens.
Malgré tout le Pape n'est pas content : à la fin de 1864 il publie un Syllabus qui condamne tout à la fois le libéralisme, le socialisme, le gallicanisme, le rationalisme et la laïcisation de la société.

L'annonce de l'abolition du régime impérial devant le palais
du corps législatif à Paris, le 4 septembre 1870.
Jacques Guiaud, 1872
Puis vient l'année terrible, comme disait Victor Hugo : 1870. En juillet 1870, le Pape est occupé à faire proclamer l'infaillibilité pontificale par le concile Vatican I, pendant que Napoléon déclare la guerre à la Prusse. Tous les deux vont aller au tapis en un temps record.
Le 2 septembre, Napoléon III capitule à Sedan. Le 4, l'Assemblée Nationale proclame la déchéance de l'empereur et l'avènement de la IIIème République. Le 19 septembre débute le siège de Paris par l'armée prussienne.

Le 20 septembre, les troupes du roi Victor-Emmanuel II rentrent dans Rome et annexent la ville au Royaume d'Italie. Le 9 octobre, les territoires des Etats pontificaux sont réunis à l'Italie par plébiscite. C'est la fin du pouvoir temporel du Pape, après mille ans (mille ans !!), de règne sur les Etats pontificaux.

Pour les catholiques, c'est plus que la cata. C'est carrément la fin du monde. 1790, c'est de la rigolade à coté. C'est forcément un châtiment de Dieu, mais qu'ont-ils fait pour mériter ça ? En plus, la France est occupée par les Allemands, il y a du mouron à se faire. Immédiatement, le 4 septembre 1870, le jour de l'abolition de l'Empire, Mgr Fournier, évêque de Nantes, attribue la défaite de la France à la punition divine d'un siècle de déchéance morale, depuis 1789.

Il faut expier, et surtout réaliser ce fameux voeu national que le petit Jésus réclame en vain depuis des siècles. Des évêques partout en France dédient leurs paroisses au sacré-coeur. La société Saint-Vincent-de-Paul, fondée en 1833 par des laïcs préoccupés de charité publique, invite dans ses conférences les bourgeois à faire de même. Par un raisonnement étrange mais pas complètement absurde, les pieux citoyens, qui n'ont plus de roi, et à qui on répète depuis un siècle que la souveraineté nationale leur appartient, estiment qu'ils peuvent et doivent eux-mêmes sauver la France en la vouant au sacré-coeur. Ils feraient mieux d'aller embrocher les uhlans, me direz vous, mais l'un n'empêche pas l'autre.

Pendant ce temps, les Visitandines de Paray-le-Monial ne sont pas restées les bras croisés, ni même les mains jointes. Elles s'affairent à publier entre 1867 et 1876 les soi-disant lettres de Marguerite Alacoque, et une "Histoire populaire de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque" connaît deux éditions en 1865 et 1870.

Entrent en scène Alexandre Legentil et Hubert Rohault de Fleury, rentiers, millionnaires, héritiers de fortunes fondées par leurs grands-parents dans l'industrie, les parfaits grands-bourgeois. Legentil et Fleury étaient beau-frères, le père de leurs épouses respectives, qui étaient soeurs, si vous me suivez, Charles Marcotte, était architecte. Il fut le concurrent malheureux de Charles Garnier pour la construction de l'opéra de Paris. Il existe des portraits de tout ce monde par Ingres, qui était un ami de la famille.

Alexandre Legentil par Ingres
En septembre 1870, ladite famille est réfugiée à Poitiers pour échapper au siège de Paris, sous la protection de l'évêque du lieu, Mgr Pie, chef de file en France du courant " ultramontain ", c'est-à-dire favorable à une soumission totale de l'Église de France à l'autorité du pape. Aux conférences locales de Saint-Vincent de Paul, elle y rencontre les anciens zouaves français du Pape, démobilisés, qui vont combattre les Prussiens dans l'armée de l'ouest, puis combattront plus tard les communards.

C'est du brainstorming entre ces représentants de différents courants royalistes, papistes, ultra-réactionnaires que naît le premier projet de bâtir un édifice qui proclame que la France se repent et qu'elle retourne sous l'autorité de l'Église. En décembre 1870, Legentil et Rohault rédigent leur "vœu pour la construction d'une basilique dédiée au Sacré-Cœur". Cette première version du vœu, très longue, évoque les "péchés" de la France, citant comme exemples : l'insuffisance de l'aide apportée au pape pour la défense de ses États, les crucifix "arrachés" des écoles, l'érection à Paris d'une statue de Voltaire, les "horribles blasphèmes" qu'on entend partout et que l'autorité tolère... Elle parle aussi de la guerre, des "exactions et rapines des troupes prussiennes commandées par le chef de l'hérésie protestante" (le roi de Prusse).

Aucun lieu précis n'est encore proposé : c'est en 1871, après la Commune de Paris, que l'emplacement  sera choisi sur la colline de Montmartre, pour diverses raisons, mais c'est une autre histoire. En fait, c'est l'histoire que je voulais raconter au départ, mais je suis fatiguée de toutes ces bondieuseries, j'ai donc décidé de reporter l'aventure de l'érection de la Basilique, qui a provoqué l'un des débats politiques les plus longs et les plus passionnés en France depuis la révolution, à un épisode ultérieur...


Sources :
Wikipedia
Claude La Colombière, biographie officielle du Vatican
Aspects du monarchisme en Normandie (IVe-XVIIIe siècles). Actes du Colloque scientifique de l'« Année des Abbayes Normandes ». Caen, 18-20 octobre 1979
Raymond Jonas, France and the cult of the Sacred Heart, an epic tale for modern times, University of California Press, 2000
Alain Denizot, le Sacré-Coeur et la Grande Guerre, Nouvelles éditions latines
http://www.eudistes-france.com/superieur-generaux-1.php
Jacques Benoist, le Sacré-Coeur de Montmartre de 1870 à nos jours. Editions Ouvrières, Paris 1992.
Paris, Capital of Modernity, Edition Rootledge, 2003
La construction du Sacré-Coeur : un symbole anti-républicain. Le 18ème du mois, juillet 1998.

samedi 27 octobre 2012

Antanaclase elliptique

L'antanaclase elliptique est une petite bête charmante une fois qu'on a appris à la connaître.
Non ce n'est pas une bactérie infectieuse, juste une figure de style.
L'antanaclase, nous dit wikipedia, est un mot qui vient du grec "anti" et "anaklasis" qui signifie répercussion. Elle consiste à produire un effet le plus souvent humoristique, en répétant le même mot, mais avec deux sens différents.

L' exemple classique n'est pas humoristique, justement : "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point."
Dans la première partie de la phrase, raisons = motifs, dans la deuxième partie, raison = jugement.
J'en profite pour rappeler que la citation est de Blaise Pascal.

Cela peut être la répétition d'un mot qui est seulement un homonyme, comme dans : "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église", citation biblique.

Un spot récent de la sécurité routière est presque entièrement basé sur des antanaclases, même si elle ne sont pas des plus subtiles :
Tant qu’il y aura trop d’alcool dans le sang d’un conducteur, il y aura du sang sur les routes…
Tant qu’un conducteur ratera un virage parce qu’il n’a pas voulu rater un appel, on appellera une ambulance…
Tant qu’un véhicule de trois tonnes ignorera un scooter de cent kilos, il y aura des tonnes de dégâts…
Tant qu’on tournera sans faire attention à l’angle mort, il y aura des morts dans l’angle mort…
Tant que la vitesse inscrite sur les compteurs dépassera celle inscrite sur les panneaux, les accidents ne ralentiront pas…


A noter que la dernière est basée sur un couple de mots qui ne sont pas homonymes mais antonymes, c'est à dire de sens contraire, "vitesse" et "ralentir".
Un autre exemple : Elle lui avait certes donné la vie, mais son fils, le docteur, ne la lui a pas rendue.

Pour alléger, on peut citer : l'existence précède l'essence, et l'essence est de plus en plus chère.
Ou bien : la droite est gauche et la gauche maladroite.

Beaucoup plus répandue et réjouissante est l'antanaclase dans laquelle la deuxième partie n'est que suggérée. Elle est dite alors elliptique.

C'est la base d'une grande partie de ce que l'on appelle communément les calembours, ou mots d'esprit.
On songe tout de suite à Raymond Devos : "Se coucher tard nuit."
"Quand la lune est argentée mon percepteur rapplique".
Et à San Antonio : "La lumière d'été plus rasante qu'un discours électoral".
"Comment trouves-tu mes fesses ? - Très facilement !"

Personnellement j'adore "l'orchestre attaqua l'hymne national qui se défendit bien", mais je n'ai pas retrouvé l'auteur.

La plupart des blagues sur le modèle "Quelle différence (ou ressemblance) entre..." sont basées sur une antanaclase elliptique.

La culture c'est comme la confiture, moins on en a plus on l'étale.
L'intelligence c'est comme les parachutes, quand on n'en a pas on s'écrase. (Pierre Desproges)
Quand il fait beau le linge sèche, les étudiants aussi.

En réalité la définition stricte de l'antanaclase est une figure de style basée sur deux sens propres du même mot. La même figure, lorsqu'elle est basée sur l'emploi d'un sens propre et d'un sens figuré, comme dans les deux derniers exemples, était appelée syllepse, mais cette distinction tend à être abandonnée.

Une fois que l'on maîtrise le concept, comme disent les cuistres, on commence à voir des antanaclases partout. On peut aussi en fabriquer bien sûr.

Plus difficile (fig. 3), antanaclase elliptique en anglais (ça se dit antanaclasis). Elle est basée sur deux sens différents du verbe "get", certainement l'un des mots les plus polysémiques du monde.

Un autre verbe polysémique est utilisé dans ce célèbre limerick pornographique, que je n'expliquerai pas aux non initiés :
There once was a man from East Kent 
Whose tool was so long that it bent 
To save her some trouble 
He folded it double 
And instead of coming he went 



Plus sérieux, un baratin du philosophe Michel Serres qui tourne autour du sujet, en podcast : http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/le-sens-de-l-info/l-antanaclase-751981-2012-09-30
Bizarrement ce n'est pas cette émission qui a inspiré ce billet, je l'ai découverte après.

L'avantage de l'humour, c'est qu'il permet de faire n'importe quoi, contrairement à disons la poésie parnassienne. Il y a des antanaclases qui reposent non pas sur deux sens du même mot mais sur une simple homophonie.
Frédéric Dard encore : "De deux mots il faut choisir le pire."
"Ah si les hommes s'aidaient ! Si les femmes cédaient !"

Enfin, une antanaclase visuelle, très élégante, qui rappelle la fameuse traduction de facebook par le traducteur de Google : "Toi aussi deviens un ventilateur !".
Mais c'est une autre histoire, et une autre catégorie comique altogether...

samedi 15 septembre 2012

Trésors de la chanson française : La vache à mille francs


Au premier temps de la vache,
Toute seule dans son pré, elle est là,
Au premier temps de la vache,
Y a l'éleveur, y a la bête et y a moi,
Et ma faim qui bat la mesure,
La mesure de mon estomac,
Et ma faim qui bat la mesure,
Mesure aussi mes fins de mois.




Une vache à mille francs,
Comme ce serait charmant,
Comme ce serait charmant
Et beaucoup plus tentant
Qu'un' vache à deux mille francs,
Une vache à mille francs.
Une vache à mille francs,
F'rait l'filet à cent francs,
L'rumsteack à soixante francs,
Le gîte à quarante francs,
L'aloyau à trente francs,
La culotte à vingt francs.
Un' culotte à vingt francs,
F'rait la côte à quinze francs,
La poitrine à douze francs,
La bavette à dix francs,
Le collier à huit francs,
Le jarret à quatre francs.
Un jarret à quatre francs,
Ce s'rait intéressant
Et plus avantageux
Pour faire un pot-au-feu
Qu'un jarret à mille francs,
Un jarret à quatre francs...

Au deuxième temps de la vache,
C'est à peine si je l'aperçois,
Au deuxième temps de la vache,
Y a du monde entre la bête et moi.
Il y a l'tueur qui passe la mesure,
L'transporteur qui lui emboîte le pas,
Pendant qu'Fontanet* nous assure
Que la viande de la vache ne monte pas.






Une vache à mille francs,
En quittant l'Morbihan,
Devient chemin faisant
Comme par enchant'ment
Un' vache à cinq mille francs
En arrivant au Mans.
Un' vache à cinq mille francs,
On ne sait pas comment,
Augment' de vingt pour cent
En traversant Le Mans,
Et d'vient par conséquent
Un' vache à six mille francs.
Un' vache à six mille francs,
C'est bougrement tentant,
C'est bougrement tentant
Pour les gens d'Orléans
D'en faire innocemment
Un' vache à dix mille francs.
Une vache à dix mille,
En sortant de la ville,
Pris' dans un tourbillon
Devient à Arpajon
Par un calcul habile
Une vache à vingt mille,
Cent mille à Montlhéry,
Deux cents à Juvisy,
Trois cent mille à Orly,
Arrivant à Paris,
À la Port' d'Italie
La vach' n'a plus de prix.
La vache est aux Gobelins
Multipliée par vingt,
Par deux cent cinquante deux
Au carr'four Richelieu,
Et par huit cent dix sept
En sortant d'La Villette...






Au dernier temps de la vache,

En rôti, sur l'étal, elle est là,
Au dernier temps de la vache,
Y a un monde entre sa viande et moi.
Et l'Etat, qui prend des mesures,
L'Etat qui mesure notre émoi,
Et l'Etat qui prend des mesures,
Fait monter un peu plus chaque mois.

De la vache à cent francs,
On en mangeait autant,
Autant qu'on en voulait,
Et plus qu'il ne fallait,
À midi, au dîner,
Et dans l'café au lait.
D'la vache à cinq cent francs,
C'est déjà plus gênant,
Quand on mange en moyenne
Dix kilos par semaine,
Pour avoir mon content
Je privais les enfants.
De la vache à mille francs,
De la vache à mille francs,
Il vaut mieux carrément
Se gaver d'ortolans,
Et s'offrir des homards
Tartinés de caviar.
D'la vache à deux mille francs,
Ça s'ra pour l'jour de l'an,
On la mangera truffée,
Sur un grand canapé,
On gardera l'foie gras
Pour les autr's jours du mois.


D'la vache à cinq mille francs,
Ça d'viendra un placement,
Avec mes lingots d'or,
Dans mon grand coffre fort,
J'entass'rai les rumsteacks
Et les coupons d'beefsteack.
D'la vache à cinq mille francs,
Ça d'vient décourageant,
C'est pas qu'on soit méchant,
Mais un beau jour, pourtant,
Il faudra bien qu'on sache
Qu'on n'peut plus suivr' la vache !



Cette chanson qui est bien évidemment un pastiche fut enregistrée en 1961 par Jean Poiret, qui eut une longue et riche carrière de comique avant de s'incarner définitivement dans l'esprit des Français sous les traits de Georges dans La cage aux folles. On peut l'admirer dans les archives de l'INA : http://www.ina.fr/divertissement/humour/video/I07044396/jean-poiret-une-vache-a-mille-francs.fr.html

La vache à mille francs eut un immense succès au début des années 60, si bien que Jacques Brel himself lui rendit hommage en concert en chantant ostensiblement "au premier temps de la va-cheu, au lieu de la valse. Il existe une enregistrement que je n'ai pas trouvé mais que j'ai entendu à la radio.


*Joseph Fontanet, ministre du commerce de l'époque.