vendredi 3 décembre 2010

Sauvons les sourcils !

Il faut dénoncer ici un horrible crime : chaque année des millions de sourcils sont assassinés dans l'indifférence générale. C'est un massacre, une hécatombe. Un véritable sourcilicide.
Je veux parler bien sûr du botox. Cette petite piqûre qui donne le front lisse et l'air vaguement surpris. Nous croyons tout savoir sur le sujet, mais examinons-le de plus près.

Le botulisme est une maladie connue pour vous tuer raide défunt si vous consommez le contenu d'une boîte de conserve pas fraîche. Mais vraiment pas fraîche, par exemple conservée dans le garage de la grand-mère depuis 1939, ou repêchée de l'épave du Titanic.
Dans le temps le botulisme sévissait à cause de la viande et des cochonnailles mal conservées ; il a été baptisé ainsi au XIXème siècle du latin botulus qui signifie saucisse, comme c'est charmant.

Conséquemment, la bactérie qui produit la protéine létale fut nommée, et s'appelle toujours, Clostridium Botulinum. Wikipédia nous apprend que la toxine botulique est un poison 40 millions de fois plus puissant que le cyanure, qui "provoque une paralysie généralisée flasque, contrairement à la toxine tétanique qui inhibe les neurones inhibiteurs de la contraction musculaire, induisant ainsi une paralysie généralisée spastique."
Je retire donc ce que je viens de dire, le botulisme ne vous tue pas raide, mais mou, j'ai confondu avec le tétanos, suis-je bête.




L'histoire continue dans les années 80 au Canada, où une certaine Jean Carruthers, ophtalmologiste, se servait de la toxine botulique à (très très) faible dose pour traiter le blépharospasme, ou clignement d'oeil incontrôlé. Son mari Alastair, qui était opportunément dermatologue, s'avisa que l'opération atténuait les rides dites glabellaires, celles qui se trouvent entre les sourcils. Leur première présentation de l'utilisation de la toxine botulique à des fins esthétiques devant un congrès scientifique en 1989 est accueillie par des ricanements sarcastiques. La même année, le Botox, fabriqué par Allergan Inc., est autorisé aux Etats-Unis pour le traitement des blépharospasmes et strabismes. 
La même Food and Drug Administration autorise en 2002 l'utilisation du Botox pour "améliorer temporairement l'apparence des rides de froncement modéré à sévère entre les sourcils". Jackpot pour Allergan, qui a fait 4 milliards de dollars de chiffre d'affaire en 2004, 6 milliards en 2006. D'après l'American Society of Plastic Surgeons, 4,8 millions d'injections ont été pratiquées aux Etats-Unis en 2009.

La paralysie induite par le botox est temporaire, elle dure entre trois mois et un an. Ce qui est bon pour le business, puisqu'il faut recommencer périodiquement, l'idée étant que le muscle qui ne travaille pas s'atrophie avec le temps.

L'idée de se débarrasser des muscles qui font bouger les sourcils me paraît absolument ridicule. Il faut dire que j'ai avec mes sourcils des relations étroites et chaleureuses. Je peux les agiter dans tous les sens, ensemble ou séparément, ce qui fait rire les âmes simples.

Comment se priver d'un tel moyen d'expression ? Le haussement circonflexe d'un sourcil n'est-il pas plus élégant qu'un long discours ? (Tu m'avais dit que tu étais célibataire et que tu vivais seule, dans ce cas que fait ce mégot de cigare dans le porte-savon de la salle de bains ?) 




Cette idée paraît d'autant plus farfelue lorsque l'on est acteur ou actrice, et payé en principe pour exprimer quelque chose. Je m'abstiendrai ici de donner des exemples, pas la peine de tirer sur les ambulances.

Là où l'affaire se corse, c'est que cette année une expérience réalisée par un certain David Havas, doctorant à l'Université du Wisconsin, tend à montrer que la paralysie des sourcils paralyse aussi un petit peu la comprenette.

L'expérience est simple, voire simpliste. On fait lire à quarante femmes des phrases censées évoquer la colère, la tristesse ou la joie, juste avant une injection de botox. On recommence après. Il semble qu'après ces cobayes mettent légèrement plus de temps à lire les phrases désagréables ou tristes. 



On a tiré de cette expérience publiée dans la revue de l'Association for Psychological Science des conséquences qui me paraissent exagérées. Pléthore d'articles dans la presse féminine ou pas annoncent que le botox supprime les émotions en même temps que les rides qui les expriment. 

Il est vrai que depuis Darwin on a remarqué une certaine rétro-action des expressions du visage sur les émotions ressenties, les deux se renforçant réciproquement. Essayez de lire n'importe quel texte en faisant la gueule et fronçant les sourcils, ou avec un sourire béat de lou ravi, vous verrez tout de suite la différence.

En réalité, une autre expérience similaire avait été réalisée en 2008 par un certain Bernhard Haslinger, de l'Université de Munich, mais cette fois en mesurant au scanner l'activité cérébrale des cobayes, et avait montré que l'amygdale, zone du cerveau associée en gros à la réponse émotionnelle, était moins activée chez les personnes dont les expressions sont paralysées.

De là à dire que le botox vous transformera en zombie dépourvu de toute sensibilité, ou pour les optimistes vous mettra à l'abri des soucis, il y a un bond de géant que j'hésite à franchir sans élastique.

Le Pr Glenberg, le directeur de thèse de David Havas, est plus circonspect : "Même si l'effet est minime, dans une conversation, les gens doivent répondre à des signaux très rapides et subtils de compréhension mutuelle, d'intention et d'empathie. Si vous êtes légèrement plus lent à réagir quand je vous raconte quelque chose qui m'a vraiment mis en colère, cela pourrait me signaler que vous n'avez pas reçu mon message."

A mon avis, le plus gênant c'est quand même d'écouter l'histoire de votre ami qui a les boules avec le visage impavide de (Ach ! Je me suis promis de ne pas citer de noms !) d'un poisson bouilli, à cause de l'effet physique du botox, indépendamment du fait que vous compreniez vite ou pas son problème.

Par ailleurs, blondes will be blondes, et comme la plupart des femmes botoxées sont des mannequins, des actrices ou des trophy wives, qui aurait l'idée de tenir à ce genre de femme des discours empreints de tristesse ou de colère ? Votre psychanalyste n'est-il pas payé pour ça ? Lequel psychanalyste peut également se botoxer, puisque son attention doit être neutre et bienveillante. Et c'est ainsi que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible...



Sources : 
http://discovermagazine.com/2008/nov/15-why-darwin-would-have-loved-botox/article_view?b_start:int=2&-C=
http://www.psychologicalscience.org/index.php/news/releases/can-blocking-a-frown-keep-bad-feelings-at-bay-2.html
http://scienceblogs.com/neurophilosophy/2010/04/botox_may_diminish_the_experience_of_emotions.php
http://www.mediapart.fr/club/blog/etoile66/241110/le-botox-supprime-les-rides-et-les-emotions
http://news.doctissimo.fr/le-botox-peut-il-egalement-figer-vos-emotions-_article7077.html

1 commentaire:

  1. Je suis d'accord: vive les pattes d'oies et les rides expressives! J'ai posté cet été un billet sur ces drôles d'expériences qui illustrent les rétroactions entre expressions du visage et émotions ressenties. C'est ici.

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