dimanche 26 décembre 2010

Chroniques arctiques : le Pizzly

C'est la pagaille chez les ours. Ca, vous le savez déjà, depuis le temps qu'on vous montre des ours polaires piteusement perchés sur des bouts de glace tout rongés par le global warming.
Cependant les ours ne se contentent pas de poser pour le WWF, ils arpentent le Grand Nord à la recherche de leur pitance, d'un terrain viabilisé, d'un peu de fraîcheur, et plus si affinités.

Mais commençons par le début : le 26 avril 2006, un certain Jim Martell, après avoir allongé 45.000 dollars pour se munir d'un permis et d'un guide de chasse, eut la joie douteuse de tuer un ours polaire sur l'île de Banks, Territoires du Nord-Ouest, Canada.
Lorsqu'il présenta la dépouille mortelle aux autorités chargées de contrôler le résultat de ses déplorables efforts, celles-ci trouvèrent que son ours n'était pas tout à fait blanc, si je puis m'exprimer ainsi. Il avait des taches brunes autour des yeux, du nez et sur les pattes, invues chez les ours polaires, mais typiques des grizzlys.

La question avait son importance, car si la chasse à l'ours polaire est apparemment permise, la chasse au grizzly, elle, est passible d'une amende de 1000 dollars (canadiens) et jusqu'à un an de prison. On envoya donc promptement un poil de l'animal chez Wildlife Genetics International en Colombie Britannique, qui décréta qu'il s'agissait du fils d'un grizzly et d'une ourse polaire. L'histoire ne dit pas si Jim Martell a payé les frais d'analyse génétique, ou la moitié de l'amende. Ca va lui faire cher la descente de lit, à force.
L'histoire dit en revanche qu'après des mois de tergiversations et force polémiques au pays de Sarah Palin, l'ours lui a été rendu. Aux dernières nouvelles, il se ballade à travers les Etats-Unis avec son ours empaillé pour le montrer dans les hunting shows, histoire de rentabiliser l'aventure.

Jusqu'ici, rien de particulièrement excitant, car on sait depuis longtemps que les grizzlys et les ours polaires peuvent se reproduire en captivité.  Mais le 8 avril 2010, un chasseur autochtone du nom de David Kuptana, du modeste village de Ulukhaqtuuq (je préfère l'orthographe traditionnelle, si vous permettez) sur l'île voisine de Victoria tua un ours qui se révéla être le fils d'un grizzly et d'une mère elle même hybride d'ours blanc et de grizzly. Aha ! Ce qui prouve que non seulement les grizzlys et polaires peuvent se reproduire dans la nature, mais leurs enfants aussi.

Comment se fait-ce ? Christine Clisset, de Slate, s'est taillé un franc succès mérité sur le web en se lançant dans une explication détaillée de l'interfertilité. En principe, les différentes espèces ne se reproduisent pas entre elles "à cause de différences génétiques, physiologiques ou comportementales ; des changements dans le nombre ou la structure des chromosomes, des parties génitales de formes différentes, ou des époques ou rituels d'accouplements incompatibles."  OK, Christine, honey, we get the picture.
Par exemple, votre jument a 64 chromosomes, alors que votre âne n'en a que 62, voila pourquoi votre mule est stérile. En revanche, le grizzly et l'ours blanc, dont les populations ne seraient séparées que depuis environ 150.000 ans, ont des patrimoines génétiques plus proches même que celui des grizzlys avec d'autres ours bruns. Vous me suivez ?

Depuis les inuits nous affirment avoir vu maintes fois de ces ours hybrides que l'on prenait jusqu'ici pour des ours "blonds", ce que je trouve absolument délicieux. Il semble que contrairement à ce que voudrait la propagande, ce ne soit pas les ours polaires qui descendent de leur banquise rétrécissante, mais plutôt les grizzlys qui montent vers le nord. En tous cas, que ce soit chez toi ou chez moi, une nouvelle espèce pourrait apparaître, ce qui ne va pas sans donner du souci aux oursologues, qui ont observé que ces hybrides en captivité aiment les phoques, mais ne nagent pas si bien que ça. Notons que l'ours polaire a les pattes en partie palmées, alors que le grizzly a de longues griffes. Manquerait plus que l'ours blanc se mette à aimer les fruits des bois, alors qu'il ne sait pas grimper. Rien n'est simple.

Reste la question du nom. J'ai particulièrement apprécié l'intrépide incursion de Wikipedia (en anglais) dans la linguistique taxonomique.
En présence d'un animal hybride, la première réaction est d'utiliser ce qu'on appelle un mot-valise (en anglais c'est un autre objet, le portemanteau).  Comme le tigron pour le rejeton du tigre et du lion, qui lui est stérile, mais c'est une autre histoire. D'où le pizzly. Sympa mais un peu proche de la pizza à mon goût.

Là où ça se complique, c'est que par convention, tiens comme c'est étonnant, le mâle passe en premier dans la formation du nom, comme en Espagne, et donc, l'enfant d'un ours polaire et d'une grizzlie s'appellerait pizzly, alors que la progéniture d'un grizzly et d'une ourse polaire s'appellerait ours grolaire. Grolar bear en anglais, love that one. Ce qui fait que les cousins ne s'appellent pas pareils. Quant aux enfants du pizzly et de l'ourse grolaire, n'en parlons même pas.

Les experts de la conservation de la vie sauvage du Canada ont proposé "nanulak", formé avec les mots inuits pour l'ours polaire "nanuk", et pour le grizzly "aklak". Que cela ne vous donne pas des idées de prénom pour vos enfants, par pitié.

Une autre piste a été explorée par les zoologistes : en cherchant dans leurs vieilles fiches, ils ont trouvé un spécimen unique d'ours d'une espèce inconnue, répertorié en 1864 sous le nom d'"ours de MacFarlane", et qui pourrait bien être un pizzly. Ce dernier pourrait donc récupérer le nom scientifique dûment enregistré à l'époque dans le CINZ, le Code International de Nomenclature Zoologique : ursus inopinatus. Ce qui n'est pas mal non plus.

En résumé, le pizzly ne sait pas où il habite, ni quoi manger, et il ne sait même pas comment il s'appelle.
Pauvre bête...

Sources
http://en.wikipedia.org/wiki/Grizzly%E2%80%93polar_bear_hybrid

BBC Grizzlies encroach on polar bear territory :  http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/8531647.stm

Slate Pizzly bears : http://www.slate.com/id/2253332/
http://www.science20.com/fish_feet/rare_grizzly_polar_bear_hybrid_hunted
http://news.nationalgeographic.com/news/2006/05/polar-bears.html

6 commentaires:

  1. Sont d'un ridicule ces scientists des fois!

    Deux animaux d'especes différentes ne peuvent pas se reproduire ensemble, c'est im-pos-si-ble!
    Enfin.. jusqu'à ce qu'ils le fassent... :|

    Mais dans le cas où ils réussissent: c'est grâce au mâle!

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  2. Si un polair rencontre une grizzlie affriolante il peut se laisser tenter(mettons nous à sa place!),l'étonnant est que le fruit de ces amours surprenantes ne soit pas stérile.Ou alors ils appartiendraient à la même espèce??

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  3. Sous l'influence d'un environnement plus froid, le grizzly s'est adapté et a naturellement évolué vers une nouvelle forme que l'on nomme communément "ours polaire". Le pizzly n'est donc pas stérile car il s'agit bien d'un croisement de deux types d'ours, issus d'une seule et même espèce. En somme, rien d'étonnant : les types humains, négroïde et caucasien, sont parfaitement compatibles (puisqu'ils appartiennent à la même espèce) alors qu'ils ont eux aussi des caractéristiques différentes. La couleur ne révèle rien, elle n'est que la conséquence visible d'une parfaite évolution géographique et climatique ; la génétique est la seule à pouvoir établir les origines d'un individu.

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  4. Certes, puisque c'est l'interfertilité qui définit l'espèce, il faut conclure que le grizzly et l'ours polaire, bien qu'ayant suffisamment évolué séparément pour avoir des caractéristiques différentes (et pas que la couleur) sont restés de la même espèce.

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  5. et si c'est possible et c'est avéré

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