On ne présente plus le Grand Collisionneur de Hadrons, LHC, Large Hadron Collider pour les intimes, ce qui a été fait dans ce blog en mars 2008 (pour les révisions voir
Rendez-vous avec Higgs).
Depuis cette époque, la plus grosse machine du monde a connu de nombreuses aventures, certaines particulièrement loufoques.
Le LHC a démarré le 10 septembre 2008 comme prévu, au milieu de nombreuses préoccupations apocalyptiques de la part des Béotiens. Par exemple, un certain Walter Wagner, de Hawaii, présenté par le web comme un instituteur, ou un juriste, ou un technicien de médecine nucléaire, ou un directeur de jardin botanique, tout ceci n'est pas très précis, et son associé Luis Sancho, ont introduit un recours Don Quichottesque devant le tribunal d'Honolulu, how charmingly exotic, pour demander l'arrêt du LHC au motif que les trous noirs générés par les collisions de particules risquaient d'attirer à eux toutes les particules de matière à leur portée et de fil en aiguille de
détruire la planète. Les physiciens espèrent effectivement créer des trous noirs, mais si petits et fugitifs (genre un trillionième de micron de large pendant un trillionième de seconde) qu'ils n'ont aucune chance de trouver une quelconque matière à absorber. Encore aujourd'hui, nos reporters en Suisse nous confient que leurs placides compatriotes craignent que leur bonne ville de Genève ne soit avalée par le LHC. Quand je fis remarquer que d'aucuns redoutaient plutôt qu'il n'avale la planète, voir l'univers tout entier, ils répondirent oui, c'est la même chose.
Mais bref, Walter Wagner ayant été débouté, le LHC ronronnait à la satisfaction générale depuis une semaine, et selon le physicien britannique Dave Barney "The universe hadn't been destroyed, so that was nice" lorsque le 19 septembre something went dreadfully wrong.
L'anneau de 27 km de long est formé de 1232 cylindres de 35 tonnes chacun appelés dipôles, reliés bout à bout.
Les câbles super conducteurs qui les parcourent pour alimenter tout le bastringue en énergie, notamment les aimants colossaux, sont soudés au cuivre. Une soudure défaillante a fait perdre à une connexion sa supra-conductivité, produisant un bête court-circuit. Un arc électrique a perforé la paroi en acier du tube, réchauffant l'hélium liquide utilisé pour refroidir l'affaire, lequel ne demande pas mieux que de se transformer en gaz.
En trente secondes l'onde de choc a provoqué des dégâts spectaculaires. Dix dipôles ont été complètement détruits et 29 autres endommagés sur 300 mètres. Le CERN déconfit annonçait 40 millions de dollars et un an de réparations.
Enfin en septembre 2009 le LHC a redémarré sans encombres, ou sans trop d'encombres.
Il y eut l'épisode de l'oiseau et du morceau de pain : les journalistes du monde entier, avec la joyeuse improvisation qui les caractérise, se sont moqués abondamment des physiciens, rapportant qu'une chouette avait lâché un morceau de pain sur un transformateur qui alimente l'accélérateur, entraînant un arrêt de deux jours pour cause de réchauffement à -268°, ce qui est beaucoup trop chaud...
Le CERN lui même semble avoir été complice de cette tempête médiatique dans un verre d'eau, publiant un communiqué pince-sans-rire selon lequel "l'oiseau se portait bien, mais avait perdu son pain", avant de rétablir une plus sobre version des faits dans
le bulletin du CERN.
Pour pimenter l'affaire, le
New York Times a évoqué dans un long article la théorie du Pr Holgen Nielsen, selon laquelle le futur, ou l'univers, ou Dieu ou les trois à la fois provoquaient ces accidents au CERN pour empêcher l'humanité de découvrir le boson de Higgs (sans doute, de la part de Dieu, par crainte de la concurrence). Ce qui est amusant c'est que Nielsen n'est pas un rigolo comme Walter Wagner, mais un physicien "par ailleurs" respecté, comme dit le New York Times, de l'Institut Niels Bohr de Copenhague, et l'un des pères de la théorie des cordes.
Contre vents et marées, oiseaux de mauvais augures, pannes de courant et mad scientists, le LHC a produit ses premiers résultats en décembre. Il n'est pas encore à pleine puissance mais a déjà battu le record du monde établi par Fermilab à Chicago. (Curieusement il semble que le CERN ne dispose pas d'une alimentation particulière en électricité, et soit branché sur le secteur, sa consommation équivalent à celle d'une ville de 200 000 habitants.)
Les images ne sont pas très impressionnantes pour l'amateur, mais les 1500 physiciens sur place et les 7200 physiciens qui travaillent sur le projet dans le monde se tapent déjà le cul par terre d'enthousiasme et se préparent à faire des heures sup pendant les 10 ou 15 prochaines années. Les découvertes attendues doivent révolutionner la connaissance de manière aussi complète que la théorie de la relativité. Ce que les anglais dans leur langue agglutinante et propice à la concision appellent "paradigm-shifting breakthrough".
En effet le dit modèle standard de l'univers est relativement stable et abondamment vérifié par l'expérience, sauf qu'il présuppose l'existence de 75% de la masse de l'univers que personne n'a jamais vue, l'anti-matière et la matière noire, et le boson "inventé" par le physicien britannique Peter Higgs dans les années soixante, censé conférer leur masse aux autres particules.
Le Pr Higgs a 80 ans aujourd'hui, et trouve qu'il serait merveilleux de pouvoir prouver l'existence de son boson, mais encore plus merveilleux de pouvoir prouver qu'il n'existe pas, ce qui remettrait en cause le modèle standard et permettrait d'inventer toutes sortes d'excitantes nouvelles théories.
But keep you shirt on, ce n'est pas exactement pour demain matin.
PS : La mise à jour de cet article sur le LHC sommeillait dans un coin de mon cerveau depuis quelques semaines lorsque je fus précédée dans cette entreprise par... Vanity Fair, prouvant ainsi que je reste en phase avec ma revue de prédilection depuis bientôt quinze ans :
Kurt Andersen : The Genesis 2.0 Project.