mardi 20 août 2013

Anonymous et le masque

Je ne veux pas parler de l'association Anonymous, qui est un sujet fascinant très bien traité par le documentaire "We are Legion, the story of the Hacktivists". Pour ceux que ça intéresse, on le trouve très facilement sur internet, sous-titré en diverses langues.

Non, ce qui m'intrigue c'est le symbole d'Anonymous, le masque dit de Guy Fawkes. Pourquoi ce masque en plastique blanc, ce sourire interlope, cette moustache à la d'Artagnan ? Et qui est Guy Fawkes ?

L'histoire commence le 5 novembre 1605, lorsque Guy Fawkes est arrêté dans les sous-sols de la chambre des Lords, alors qu'il s'apprête à faire exploser 36 barrils de poudre.
Fawkes est loin d'être un révolutionnaire, c'est un fils de bourgeois protestants du Yorkshire, converti à un catholicisme homicide par son éducation à l'école Saint Peter de York, semblerait-il. Il s'engagea dans diverses armées catholiques et pourfendit les protestants aux Pays-Bas et en Espagne, avant de retourner en Angleterre pour ourdir l'assassinat du roi. Cet événement est connu dans l'histoire et la petite histoire anglaises sous le nom de "conspiration des poudres".

Au lieu de creuser un tunnel sous la chambre des Lords, ce qui est long et salissant, Fawkes et ses complices trouvèrent à louer une cave sous le bâtiment, comme c'est pratique. Fawkes étant l'expert en explosifs, c'est lui qui était dans la crypte avec la poudre. L'histoire ne dit pas s'il avait l'intention de survivre à l'explosion, ou s'il aurait plutôt dû être le patron des terroristes suicidaires : complot, guerre de religions, attentat, explosion, coup d'état... Ca me rappelle vaguement quelque chose, mais quoi ?

Après son arrestation, Fawkes fut abondamment torturé et condamné à mort. Il se tua en se jetant du haut de la plate-forme de l'échafaud plutôt que de subir sa condamnation à être "pendu, traîné puis écartelé".

Ce qui est sûr c'est que l'attentat (raté) de Guy Fawkes n'avait pas pour but d'instaurer la souveraineté populaire ou les lendemains qui chantent, mais de remettre sur le trône une dynastie papiste. Ceci dit, on comprend que l'idée de faire sauter toute la famille royale et une bonne partie de l'aristocratie d'un seul coup ait eu de quoi séduire quelques esprits tordus.

Guy Fawkes est devenu en Angleterre une sorte d'anti-héros folklorique. Tous les 5 novembre, la Guy Fawkes night, moitié carnaval, moitié Halloween, est une fête où les enfants promènent une effigie de Guy Fawkes en demandant "a penny for the Guy", que l'on brûle ensuite sur un bûcher, accompagné de feux d'artifice.

Pendant des siècles la fête a représenté un témoignage de loyauté envers la monarchie, une mise en garde du peuple contre l'ennemi intérieur, et aussi une manifestation férocement anti-catholique. Souvent l'effigie du pape était brûlée à la place de celle de Fawkes. A tel point que George Washington, alors commandant des forces américaines rebelles, interdit les Guy Fawkes nights par ordonnance du 5 novembre 1775, comme étant insultantes pour ses alliés canadiens.

Tout comme celle des mousquetaires, l'aventure de Guy Fawkes a inspiré de nombreux romans, chansons, poèmes et tableaux. Il est représenté avec un bouc, une moustache et un grand chapeau, ce qui était la mode de l'époque, et n'avait vraiment rien d'original, comme le montre le portrait de groupe ci-dessus.

Mais quittons le sanglant XVIIème siècle pour nous rendre en 1982 dans le Northamptonshire. Le génial et peu commode écrivain Alan Moore est en train de réfléchir à un scénario de bande dessinée pour le magazine Warrior, intitulé V. for Vendetta : dans un futur proche (1997 !), après une guerre nucléaire, le Royaume-Uni est un Etat policier dirigé par le parti Norsefire. V., un mystérieux révolutionnaire masqué, se dresse contre le gouvernement totalitaire.

Le dessinateur David Lloyd lui propose de faire de V. une réincarnation de Guy Fawkes ou quelqu'un qui adopte la personnalité de Fawkes. Son idée était, d'après son propre témoignage, de donner à V. l'apparence de l'effigie que l'on brûle pendant les Guy Fawkes nights.

Des costumes et masques de Guy Fawkes étaient vendus pour cette occasion dans les magasins de farces et attrapes, en même temps que les pétards et les feux d'artifice. Malheureusement c'était l'été, et David Lloyd n'en trouva nulle part, les magasins n'en avaient pas en stock avant le mois d'octobre. Lloyd dessina donc de mémoire une version stylisée du masque en question.

D'après lui le sourire est une sorte d'accident, il n'avait qu'un vague souvenir de ce à quoi le masque ressemblait, mais il se rappelait la moustache, ce qui lui suggéra cette espèce de sourire narquois.

26 épisodes de V. for Vendetta sont publiés dans le magazine Warrior de 1982 à 1985, date de la faillite de la publication. Entre temps Alan Moore avait été embauché par l'éditeur étazunien DC Comics, qui réédita et termina la série en couleurs à partir de 1988. La série a été publiée en français en 1989 et a gagné le prix du festival d'Angoulême du meilleur album étranger en 1990. Les droits sur la création originale appartiennent à Warner Brothers, propriétaire de DC Comics depuis 1969.

En 2006, la Warner produit une adaptation cinématographique de V. for Vendetta, écrite par les frères Wachowski, fameux scénaristes de Matrix. David Lloyd le trouve "merveilleux". Alan Moore le trouve "imbécile". Moore se fâche si fort avec Warner qu'il rompt toute collaboration avec DC Comics.

N'étant absolument pas fan de comics, et encore moins de films tirés de bandes dessinées, que je trouve en général d'une indigence intellectuelle pire que les films inspirés de roman, j'ai insisté pour voir ce film, l'année de sa sortie. Je m'en souviens très bien, j'étais à Madrid. J'avais lu une critique quelque part qui disait que le film n'était pas terrible, mais qu'il était "culturellement significatif". Significatif de quoi ? Ce n'était pas clair, mais cela m'avait suffisamment intriguée.

Je me souviens avoir trouvé le film plutôt pas mal (car je suis très bon public en fait, une fois assise dans la salle) sans être transcendant, esthétiquement très réussi (tu m'étonnes), et pas particulièrement intéressant. J'ignorais bien sûr tout ce qui s'était passé avant, sans parler de tout ce qui se passerait après... Boy ! Am I glad I have seen it now ! Et le critique qui a trouvé ce film "significatif" doit maintenant être vénéré par ses pairs comme un gourou !

Pendant ce temps, tout cela n'avait pas échappé aux merry hacksters d'Anonymous, fans de comics comme tous geeks qui se respectent, qui s'échangeaient des "memes" avec la figure de V. for Vendetta sur le forum 4chan. Lorsque Anonymous décida de lancer sa première grosse attaque à la fois sur internet et dans la vie réelle, c'était pour défendre youtube contre l'église de scientologie, en 2008.

Dans le film, une foule anonyme portant le costume de Fawkes représente le soulèvement de la population contre l'oppression.


C'est donc tout naturellement que le masque fut choisi par les manifestants venus protester devant les locaux de la scientologie dans tous les Etats-Unis, à l'appel de Anonymous. Le succès de la manifestation surprit les Anonymous, qui n'avaient jusque là aucune idée de combien de gens écoutaient leurs messages. C'est une belle histoire, qui est racontée en détails dans le film "We are Legion".

Comme d'habitude, the rest is history. Le masque est devenu le symbole de Anonymous, puis de Occupy Wall Street en 2011, puis de tout le monde protestant contre tout partout dans le monde.

Les auteurs Alan Moore et David Lloyd ont accueilli avec enthousiasme cette récupération, chacun dans leur style.

Alan Moore, dans son style anarchiste baroque inimitable (et intraduisible), a écrit en 2012 : "As for the ideas tentatively proposed in that dystopian fantasy thirty years ago, I'd be lying if I didn't admit that whatever usefulness they afford modern radicalism is very satisfying. In terms of a wildly uninformed guess at our political future, it feels something like V for validation."

Lloyd, qui montre dans les interviews une exubérance bon enfant, trouve tout ça "fantastique".
Il a rendu visite aux campeurs de Zucotti Park en 2011, à l'invitation d'auteurs de BD qui ont créé Occupy Comics, un groupe qui publie des comics inspirés par le mouvement Occupy. Deux numéros sont parus en 2012 sur internet, et le groupe s'enorgueillit de compter parmi ses membres à la fois David Lloyd et Alan Moore, ainsi que le monument vivant Art Spiegelman.

Encore une bien belle histoire. Mais moi, vous me connaissez, je suis pragmatique. Je voudrais aussi savoir d'où viennent les masques de Guy Fawkes.

Les ventes de masques de Guy Fawkes sont estimées à plus de 200.000 par an (seulement ceux qui sont fabriqués sous licence). Time Warner, la maison mère de Warner Bro., en tant que propriétaire des droits sur le design, encaisse une pourcentage sur chaque vente. L'ironie de la situation ne vous aura pas échappé.

Les masques sont fabriqués par Rubie's, la plus grosse entreprise de déguisements au monde. Rubie's est une société fondée en 1951 par Rubie and Tillie Beige (c'est leur nom) dans le Queens à New York sous le nom de Rubie's Candy Store, magasin de bombons et de farces et attrapes. C'est aujourd'hui une puissante multinationale qui appartient toujours à la famille Beige.

Déjà en 2011, Howard Beige (je ne m'en lasse pas) directeur exécutif de Rubie's, déclarait au New York Times vendre plus de 100.000 exemplaires par an de Guy Fawkes, comparé à environ 5000 exemplaires par an pour les autres masques. Il disait aussi que les masques étaient fabriqués "au Mexique et en Chine".

Hum, well, why not ? Tous les produits de consommation de masse sont fabriqués en Chine : les tours Eiffel en plastique, les bustes de Lincoln, les boules à neige du Taj Mahal. Les drapeaux à l'effigie de Che Guevara.

Nous savons déjà que les grossistes ne sont pas particulièrement adeptes de la transparence en ce qui concerne les conditions de fabrication de leurs produits. Et le reporter du NY Times n'a pas jugé opportun de poser la question à M. Beige.

Tout ce que j'ai trouvé sur internet est cette photo anonyme, elle aussi. Là encore, je vous laisse apprécier l'ironie.

Conclusion : le masque de Guy Fawkes est un symbole mondial de révolte populaire tiré d'un film à gros budget d'Hollywood, version abâtardie d'une bande dessinée britannique, elle même inspirée de très loin par une manifestation folklorique qui est le lointain souvenir d'un événement survenu en 1605. Ca c'est de l'histoire de la culture populaire...



Sources : 
Wikipédia, Wikimedia Commons
Interview de David Lloyd dans le International Business Times, 11 juin 2013
http://harpers.org/blog/2007/11/happy-counterterrorism-day/
http://www.findingdulcinea.com/news/on-this-day/November/Gunpowder-Plot-Foiled.html
Moore slams V. for Vendetta movie, Comic Book Resources, 23 mai 2005
Dozens of masked protesters blast Scientology Church, The Boston Globe, 11 février 2008
V for Vendetta and the rise of Anonymous, by Alan Moore, BBC news, 10 février 2012
Masked Protesters Aid Time Warner's Bottom Line, The New York Times, 28 août 2011
http://www.retail-merchandiser.com/index.php/reports/licensing-reports/676-rubies-costume-co-inc

dimanche 4 août 2013

28 août 1963 : la marche vers Washington pour le travail et la liberté

A. Philip Randolph en 1963
A. Philip Randolph était le président et fondateur  en 1925 du premier syndicat représentant des travailleurs noirs des Etats-Unis, the Brotherhood of Sleeping Car Porters, la confrérie des employés de wagons-lits.  Il était en 1941 l'organisateur du "March on Washington Movement" qui avait obtenu de Roosevelt l'abolition de la ségrégation raciale dans l'industrie de l'armement, avant que la marche ait effectivement lieu.

En 1963, c'est le centenaire de la proclamation d'émancipation des esclaves par Abraham Lincoln. Le mouvement pour les droits civiques prend de l'ampleur depuis 1961. A 74 ans, Philip Randolph est un monument de la défense des droits civiques. Il est vice-président de l'AFL-CIO, American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations, la plus puissante fédération syndicale du pays. Il se dit qu'il est temps de remettre ça.

Les organisateurs de la Marche, appelés collectivement The Big Six, sont outre Philip Randolph, James Farmer, fondateur de CORE, the Congress for Racial Equality, et organisateur des fameux Freedom RidesJohn Lewis, qui à 23 ans à l'époque était président du SNCC, Student Nonviolent Coordinating Committee (il est aujourd'hui représentant démocrate élu au Congrès pour la circonscription d'Atlanta depuis 1987) ; Martin Luther King, que l'on ne présente plus ; Roy Wilkins, président de la NAACP, National Association for the Advancement of Colored People, la plus ancienne, puissante et vénérable association de défense des noirs américains, fondée en 1909 ; Whitney Young, président de la National Urban League.

Bayard Rustin en 1963
Le responsable de la logistique était Bayard Rustin, un autre vétéran de la lutte pour les droits civiques, et compagnon de route de Randolph depuis plus de vingt ans. Il avait avec lui rencontré le président Roosevelt pour négocier le Fair Employment Act en 1941.

Pionnier de la lutte contre la ségrégation raciale dans les transports en commun, il fut arrêté et battu par la police en 1942 pour avoir refusé de s'asseoir au fond d'un bus dans le Tennessee. C'est la même année qu'il aida James Farmer à fonder le Congrès pour l'Egalité Raciale.

Pacifiste, Rustin fut emprisonné au pénitencier fédéral de Lewisburg pour avoir refusé d'effectuer le service militaire. Il y organisa promptement des manifestations contre la ségrégation raciale à la cantine !
Admirateur de Gandhi, Rustin fut par la suite arrêté plusieurs fois pour des manifestations contre le régime colonial anglais en Inde et en Afrique.

Philip Randolph et Bayard Rustin furent parmi les principaux mentors de Martin Luther King.
En 1957, Randolph avait organisé avec Luther King le "Prayer Pilgrimage for Freedom" qui avait rassemblé 25.000 personnes au Lincoln Memorial de Washington pour... prier le gouvernement Eisenhower de faire respecter la déségrégation dans les écoles publiques, telle qu'ordonnée par la décision de la Cour Suprême "Brown v/ Board of Education" trois ans auparavant. Le discours en forme de prière de Luther King ce jour-là, "Give us the Ballot", fut très remarqué et contribua à faire de lui l'un des principaux leaders du mouvement noir.

Birmingham, Alabama, 3 mai 1963
Parallèlement, Bayard Rustin descendit dans l'Alabama pour apprendre à Luther King à organiser des manifestations pacifiques et à développer des alliances avec les organisations blanches progressistes.

Mais l'Alabama c'était autre chose que Washington : pendant le printemps et l'été 1963, la télévision montra à tout le pays et au monde les militants non-violents en train de se faire piler par la police et par le Ku Klux Klan à Montgomery et à Birmingham. Bayard Rustin commenta plus tard : "Birmingham fut l'une des plus belles heures de la télévision. Soir après soir, la télévision faisait rentrer dans le salon des Américains toute la violence, la brutalité, la stupidité, et la laideur des efforts [du commandant de police] Eugene "Bull" Connor pour maintenir la ségrégation raciale."

C'était la honte pour l'administration Kennedy qui passa la surmu pour rédiger un nouveau projet de loi sur la protection des droits civiques. Dans un discours à la télévision et à la radio le 11 juin 1963, John Kennedy annonça pour 1964 une nouvelle législation sur l'égalité des droits.

Tout ça pour montrer que les organisateurs de la marche sur Washington came a long, long way. Ils étaient de grands professionnels de ce qu'on appelle aux Zuesses le grassroot activism, et dans la parlance actuelle l'expression de la société civile. L'expression non-violente. Notons parmi les absents de l'organisation Malcolm X, qui compara la marche sur Washington à un pique-nique dans le parc.

Une dernière remarque avant de marcher sur Washington : Philip Randolph, Bayard Rustin et James Farmer étaient socialistes. Randolph était athée. Rustin était homosexuel, raison pour laquelle il ne figurait pas officiellement parmi les organisateurs de la marche.

Bayard Rustin forma et dirigea une équipe de 200 militants pour faire la publicité de la marche, recruter les marcheurs et organiser leur transport. 2000 autobus, 21 trains spéciaux, 10 avions charters et d'innombrables voitures se rendirent à Washington le 28 août. Rustin recruta aussi 4000 volontaires pour le service d'ordre.

Pendant ce temps, le reste du pays était occupé à flipper sa race, c'est le cas de le dire. La presse était majoritairement convaincue qu'il était impossible de rassembler plus de 100.000 militants noirs sans provoquer des incidents et probablement des émeutes. Le Pentagone posta 19.000 soldats prêts à intervenir dans les faubourgs de Washington. Les prisons des alentours avaient transféré leurs détenus ailleurs pour faire de la place en cas d'arrestation de masse. La ville de Washington avait interdit toute vente de boisson alcoolique (les nègres étant tous des boit-sans-soif, c'est bien connu) et les hôpitaux avaient reporté toutes les opérations chirurgicales non urgentes pour pouvoir soigner les blessés dans d'éventuelles émeutes. Ambiance...

On estime de 200 à 300.000 personnes les manifestants qui défilèrent depuis le Washington Monument jusqu'au Lincoln Memorial, pour les trois quarts noirs et pour un quart "sympathisants".
A la lecture du programme, on est étonné (en tous cas quand on est français) par la présence massive des leaders religieux : l'archevêque de Washington ; Eugene Blake, pasteur presbytérien et secrétaire général du Conseil Oecuménique des Eglises (protestantes, crois-je comprendre) ; le révérend Luther King, bien sûr, et deux rabbins. C'étaient la belle époque où les juifs des Etats-Unis étaient démocrates.

La seule femme invitée à s'exprimer, Myrlie Evers, veuve du militant Medgar Evers, assassiné au Mississipi quelques semaines plus tôt, n'est pas venue et son discours d'hommage aux femmes militantes fut lu par Bayard Rustin. Finalement la seule femme à prendre la parole dans les remarques préliminaires fut Josephine Baker.

James Farmer, qui était en prison, fut remplacé par Floyd McKissick. Les intermèdes musicaux étaient assurés par Mahalia Jackson, Peter Paul and Mary, Bob Dylan et Joan Baez. Au chapitre people on pouvait voir toutes les (rares) célébrités noires de l'époque, des joueurs de base ball, l'écrivain James Baldwin, les acteurs et chanteurs Samy Davis Jr, Harry Belafonte, Sidney Poitier et leurs amis Marlon Brando et... Charlton Helston.

Dans l'esprit de Randolph, la Marche était destinée à appuyer l'effort de l'administration Kennedy pour faire passer une législation protégeant les droits des afro-américains. Mais d'autres intervenants critiquèrent dans leurs discours le projet du gouvernement comme étant insuffisant, "too little and too late". Le dernier discours du programme était celui de Martin Luther King, qui est resté célèbre sous le titre : "I have a dream".

Les discours prononcés pendant la marche sur Washington, et particulièrement celui de King, retransmis en direct à la télévision, reçurent une couverture médiatique exponentiellement plus importante que tous les événements organisés auparavant. 1700 correspondants de presse spéciaux avaient été envoyés en plus des journalistes de Washington, et plus de 500 reporters de télévision, bien plus que pour l'inauguration de John Kennedy au même endroit deux ans auparavant.

Dans la culture populaire, le seul personnage qui subsiste de cette aventure est Martin Luther King, en partie à cause de son assassinat spectaculaire quelques années plus tard. C'est une idée reçue que de considérer que le discours de King fut "instrumental" comme on dit en anglais, dans le vote des lois sur les droits civiques l'année suivante. Je suis aussi fan du Dr King que n'importe qui (pour l'intégralité de son discours, voir What was is dream again ? 12 octobre 2007) mais je trouve que les autres leaders du mouvement, particulièrement Philip Randolph et Bayard Rustin sont injustement oubliés.

Anyway, ce qui arriva par la suite fut que John F. Kennedy fut comme on sait empêché de tenir sa promesse par un fâcheux contretemps :  son propre assassinat trois mois plus tard, le 22 novembre 1963.
Dans son premier discours au Congrès le 27 novembre 1963, le Président par intérim Lyndon Johnson déclara : "Aucune prière, aucun hommage ne pourrait honorer la mémoire du président Kennedy avec plus d'éloquence que le vote le plus tôt possible de la loi sur les droits civiques pour laquelle il a lutté pendant si longtemps." Après ça même les plus avides ségrégationnistes renoncèrent à s'opposer au passage du Civil Rights Act qui fut promulgué le 2 juillet 1964. Cette loi interdit toute forme de ségrégation basée sur "la race, la couleur, la religion ou l'origine nationale" dans les lieux publics.
Cette loi fut critiquée pour ce qu'elle ne contenait pas, notamment des dispositions de lutte contre la brutalité policière, et contre la discrimination des employeurs privés, qui continuent d'être un souci aujourd'hui.

En 1965, le Voting Rights Act finira d'éliminer la plupart des conditions d'accès au droit de vote autres que la citoyenneté, telles que les tests de lecture.

Une nouvelle marche sur Washington est annoncée par les syndicats (ou ce qu'il en reste) le 24 août 2013 pour commémorer le cinquantenaire.

Oh, et j'oubliais : la Marche sur Washington pour le travail et la liberté du 28 août 1963 s'est déroulée sans aucun incident...



Sources : Wikipedia english
Charles Euchner : Nobody Turn Me Around - A People's History of the 1963 March on Washington - Random House, 2010 
William P. Jones : The March on Washington: Jobs, Freedom and the Forgotten History of Civil Rights - W.W. Norton & Co, 2013
http://www.dissentmagazine.org/article/the-forgotten-radical-history-of-the-march-on-washington
King Institute Encyclopedia, Standford University
Southern Spaces
Pour plus d'images : Life-Time photo archive - Wikipedia Gallery
Internet Archives : video de la Marche sur Washington
Sur l'hymne de la Marche sur Washington, ce blog, We Shall Overcome, 10 novembre 2008