samedi 15 septembre 2012

Trésors de la chanson française : La vache à mille francs


Au premier temps de la vache,
Toute seule dans son pré, elle est là,
Au premier temps de la vache,
Y a l'éleveur, y a la bête et y a moi,
Et ma faim qui bat la mesure,
La mesure de mon estomac,
Et ma faim qui bat la mesure,
Mesure aussi mes fins de mois.




Une vache à mille francs,
Comme ce serait charmant,
Comme ce serait charmant
Et beaucoup plus tentant
Qu'un' vache à deux mille francs,
Une vache à mille francs.
Une vache à mille francs,
F'rait l'filet à cent francs,
L'rumsteack à soixante francs,
Le gîte à quarante francs,
L'aloyau à trente francs,
La culotte à vingt francs.
Un' culotte à vingt francs,
F'rait la côte à quinze francs,
La poitrine à douze francs,
La bavette à dix francs,
Le collier à huit francs,
Le jarret à quatre francs.
Un jarret à quatre francs,
Ce s'rait intéressant
Et plus avantageux
Pour faire un pot-au-feu
Qu'un jarret à mille francs,
Un jarret à quatre francs...

Au deuxième temps de la vache,
C'est à peine si je l'aperçois,
Au deuxième temps de la vache,
Y a du monde entre la bête et moi.
Il y a l'tueur qui passe la mesure,
L'transporteur qui lui emboîte le pas,
Pendant qu'Fontanet* nous assure
Que la viande de la vache ne monte pas.






Une vache à mille francs,
En quittant l'Morbihan,
Devient chemin faisant
Comme par enchant'ment
Un' vache à cinq mille francs
En arrivant au Mans.
Un' vache à cinq mille francs,
On ne sait pas comment,
Augment' de vingt pour cent
En traversant Le Mans,
Et d'vient par conséquent
Un' vache à six mille francs.
Un' vache à six mille francs,
C'est bougrement tentant,
C'est bougrement tentant
Pour les gens d'Orléans
D'en faire innocemment
Un' vache à dix mille francs.
Une vache à dix mille,
En sortant de la ville,
Pris' dans un tourbillon
Devient à Arpajon
Par un calcul habile
Une vache à vingt mille,
Cent mille à Montlhéry,
Deux cents à Juvisy,
Trois cent mille à Orly,
Arrivant à Paris,
À la Port' d'Italie
La vach' n'a plus de prix.
La vache est aux Gobelins
Multipliée par vingt,
Par deux cent cinquante deux
Au carr'four Richelieu,
Et par huit cent dix sept
En sortant d'La Villette...






Au dernier temps de la vache,

En rôti, sur l'étal, elle est là,
Au dernier temps de la vache,
Y a un monde entre sa viande et moi.
Et l'Etat, qui prend des mesures,
L'Etat qui mesure notre émoi,
Et l'Etat qui prend des mesures,
Fait monter un peu plus chaque mois.

De la vache à cent francs,
On en mangeait autant,
Autant qu'on en voulait,
Et plus qu'il ne fallait,
À midi, au dîner,
Et dans l'café au lait.
D'la vache à cinq cent francs,
C'est déjà plus gênant,
Quand on mange en moyenne
Dix kilos par semaine,
Pour avoir mon content
Je privais les enfants.
De la vache à mille francs,
De la vache à mille francs,
Il vaut mieux carrément
Se gaver d'ortolans,
Et s'offrir des homards
Tartinés de caviar.
D'la vache à deux mille francs,
Ça s'ra pour l'jour de l'an,
On la mangera truffée,
Sur un grand canapé,
On gardera l'foie gras
Pour les autr's jours du mois.


D'la vache à cinq mille francs,
Ça d'viendra un placement,
Avec mes lingots d'or,
Dans mon grand coffre fort,
J'entass'rai les rumsteacks
Et les coupons d'beefsteack.
D'la vache à cinq mille francs,
Ça d'vient décourageant,
C'est pas qu'on soit méchant,
Mais un beau jour, pourtant,
Il faudra bien qu'on sache
Qu'on n'peut plus suivr' la vache !



Cette chanson qui est bien évidemment un pastiche fut enregistrée en 1961 par Jean Poiret, qui eut une longue et riche carrière de comique avant de s'incarner définitivement dans l'esprit des Français sous les traits de Georges dans La cage aux folles. On peut l'admirer dans les archives de l'INA : http://www.ina.fr/divertissement/humour/video/I07044396/jean-poiret-une-vache-a-mille-francs.fr.html

La vache à mille francs eut un immense succès au début des années 60, si bien que Jacques Brel himself lui rendit hommage en concert en chantant ostensiblement "au premier temps de la va-cheu, au lieu de la valse. Il existe une enregistrement que je n'ai pas trouvé mais que j'ai entendu à la radio.


*Joseph Fontanet, ministre du commerce de l'époque.

samedi 8 septembre 2012

Tim Weiner

Tim Weiner gagne à être connu. Il a reçu le prix Pulitzer alors qu'il était journaliste au Philadelphia Enquirer, en 1988, pour un reportage sur les caisses noires du Pentagone, qui fut transformé en livre sous le titre Blank Check : the Pentagon's Black Budget, en 1990.

Ce succès l'a propulsé au New York Times où il a été correspondant au Mexique, en Afghanistan, au Pakistan et au Soudan, ainsi que reporter à Washington sur les questions de sécurité.

Entre deux aventures il s'est plongé dans les dizaines de milliers de documents de la CIA déclassifiés dans les années 2000, pour écrire une histoire de la CIA, intitulée A Legacy of Ashes, publiée en 2007, qui a été récompensée par le National Book Award. Il a aussi interviewé des tonnes d'agents, anciens agents et responsables de l'agence.

Cet ouvrage plus qu'excellent a été traduit en français aux éditions de Fallois, puis en poche chez Perrin dans la collection Tempus. Il a aussi été traduit en espagnol et dans 22 autres langues.

Tout le monde sait, surtout en amérique latine, que la Si-Aillé c'est que des gros méchants, mais rares sont ceux qui ont une idée de pourquoi et comment, et qui sont capables de trier la propagande et la contre-propagande. En effet, rien n'est plus propice à la fiction que l'espionnage, à part la guerre.

Tim Weiner a un angle qui lui permet de ne pas sombrer dans l'invective, tout en restant vitriolique. La question qu'il se pose est : pourquoi la CIA est-elle invariablement incompétente, depuis sa création jusqu'à nos jours ? Et il y répond bien sûr, de façon extrêmement convaincante, documentée, et terrifiante !

Grèce, Italie, Syrie, Liban, Iran, Jordanie, Indonésie, Zaïre, Cuba bien sûr, Haïti, Viet Nam, Laos, Thaïlande, Chili, Chypre, Vénézuela, Panama, Afghanistan, Nicaragua, Tchad, Irak, la description de chaque opération, chaque aventure, chaque fiasco de l'agence depuis la guerre est tellement terrible qu'on a du mal à y croire, c'est pourquoi j'ai insisté sur le sérieux de l'auteur, qui est reconnu par ses pairs. Pas la peine de s'exciter sur les théories de la conspiration, la réalité est bien plus grave, merci. 

Par exemple, saviez-vous que la démocratie chrétienne italienne est une création de la CIA juste après la guerre, pour éviter que les communistes italiens ne gagnent les élections ? Moi je l'ignorais. En fait la corruption n'est pas un accident pour la démocratie chrétienne, mais elle lui est pour ainsi dire consubstantielle...
Les détails des interventions des Etats-Unis en Iran depuis les années 50 font mieux comprendre pourquoi il est aujourd'hui si facile de plonger les Iraniens dans une frénésie anti-américaine, et anti-occidentale en général.
L'appui au Jihad islamique contre le communisme athée est une idée qui remonte à Eisenhower en 1957, et qui a prospéré dans les années 80 avec des résultats désastreux plus ou moins connus.

On trouve des phrases cinglantes, comme "the war in Vietnam began with political lies based on fake intelligence." Blast ! Rien de nouveau sous le soleil de ce coté là... Comment la CIA a dissimulé ses activités, résisté à toute réforme et menti effrontément à tous les présidents successifs, ça paraît incroyable, je me répète.

Il ne faut pas croire que cette histoire ne concerne et n'intéresse que les Etazuniens. Notez la liste non-exhaustive des pays citée plus haut : c'est moi ou on dirait que la plupart ont du mal à s'en remettre ? Je ne dis pas que tout ce qui se passe dans le monde est de la faute de la CIA, je dis seulement que destabiliser un pays, corrompre son gouvernement et plus généralement faire n'importe quoi avec beaucoup d'armes, beaucoup d'argent et beaucoup d'escrocs sans scrupules, c'est rarement bon pour l'avenir. 
Bref, 600 pages très denses, et très difficiles à digérer, avec 170 pages de notes, dans l'édition américaine.

Tim Weiner a remis ça en 2012 avec une histoire du FBI, non pas dans ses activités de police fédérale, mais du côté sureté de l'Etat, et renseignement intérieur. Ca s'appelle Enemies : a History of the FBI, et c'est traduit en espagnol mais pas encore en français. 
La notice de Tim Weiner dans wikipedia existe en anglais, en allemand et en latin, comme les classes d'élite de nos écoles... Je vais peut-être me fendre d'une page en français, quand j'aurai le temps...




http://en.wikipedia.org/wiki/Tim_Weiner
Critique du Figaro 19/02/2009
Critique de "Enemies" dans le New York Times 14/03/2012

samedi 1 septembre 2012

L'atelier de Bazille


Portrait de Bazille par Auguste Renoir
Issu d'une famille de notables montpelliérains, Bazille s'installe à Paris en 1862 pour suivre des études de médecine avant d'opter pour la peinture (ce qui n'est peut-être pas une très bonne idée au vu du résultat, mais cette opinion n'engage que moi).

A l'atelier de Charles Gleyre, il se lie d'amitié avec Monet, Renoir et Sisley qui partagent son admiration pour Manet. L'atelier de Bazille laisse entrevoir les relations et l'intimité qui unissent ces artistes précurseurs. La scène se situe dans l'atelier de la rue de La Condamine que Bazille partage avec Renoir du 1er janvier 1868 au 15 mai 1870. 

Au centre se trouve Bazille, palette à la main. Mais comme ce dernier l'écrit dans une lettre à son père : "Manet m'a fait moi-même". On reconnaît en effet la facture vigoureuse de Manet dans la haute silhouette élancée du jeune homme. 

Manet, justement, coiffé d'un chapeau, observe la toile placée sur le chevalet. A droite, Edmond Maître, ami de Bazille, est assis au piano. Au-dessus de lui, une nature morte de Monet rappelle que Bazille aidait financièrement ce dernier par des achats. 

Les trois personnages de gauche sont plus difficilement identifiables. Il peut s'agir de Monet, de Renoir ou encore de Zacharie Astruc... En entourant Manet et ses admirateurs de certains de ses tableaux refusés au Salon "La toilette" (Montpellier, musée Fabre) au-dessus du divan et "Le pêcheur à l'épervier" (Zürich, Fondation Rau) à gauche, en haut, ou encore vraisemblablement un "paysage avec deux personnages" refusé à Renoir au salon de 1866 (la grande toile encadrée à droite de la fenêtre), Bazille exprime ses critiques envers l'Académie et affirme sa propre vision de l'art. Quelques mois plus tard, sa mort au cours des combats de la guerre franco-prussienne devait faire de cette oeuvre un émouvant testament.

La toile mesure 98 sur 128,5 cm et se trouve au Musée d'Orsay.

Dans la rue de la Condamine, Paris XVIIème, on trouve aujourd'hui une galerie de... street art, Ligne 13.





Sources 
Tableaux : Wikicommons 
Texte : http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees 
Photo Ligne 13 : Jocelyn Berthier