dimanche 26 juillet 2009

Pour les vacances

Voici 6 chefs-d'oeuvre méconnus, à mon humble avis.
2 livres, 2 disques, 2 films.
A chercher sur internet au lieu de s'abrutir avec les blockbusters de l'été.

Je ne vais même pas faire de critiques, quand on a dit chef d'oeuvre, on a tout dit.

Boris Pasternak, Sauf-conduit, 1931
(soit 26 ans avant le Docteur Jivago...)


















Hugo Pratt, Le désir d'être inutile, entretiens avec Dominique Petitfaux, 1991





















Lizzy Mercier Descloux, One for the Soul, 1986

Enregistré à Rio de Janeiro avec Chet Baker, s'il vous plaît.


















Basia Trzetrzelewska, Time and Tide, 1987.

Pendant des années j'ai écouté ces deux albums ensemble, sur deux faces d'une cassette. Vous vous souvenez ces petites boîtes en plastique avec une bande à l'intérieur que le chat foutait en l'air en jouant avec ?













John Sayles, Lone Star, 1996





















Stephen Frears, Samy et Rosie s'envoient en l'air, 1987. Scénario Hanif Kureishi.

jeudi 23 juillet 2009

In praise of Marilyn Manson

Marilyn Manson, de son vrai nom Brian Warner (on s'en fout) n'est plus un jeune homme, il a 40 ans. Au départ c'est un type quelconque, laid et dégingandé, mais il est plutôt moins bête qu'il n'en a l'air.

Il a vendu en gros 20 millions d'albums dans le monde depuis 1994, sans compter les singles, et son treizième opus, The High End of Low, vient de sortir.

Son fonds de commerce est la provocation, on est d'accord, alors quoi de neuf depuis Kiss, Alice Cooper et Ozzie Osbourne ? Regardons mieux.

Sans même me hasarder à commenter sa musique, que personnellement je trouve très bien, quoiqu'un peu répétitive, je me suis penchée sur son style.

Marilyn Manson est un aspirateur de tendances, de détails cools, un bureau de style à lui tout seul. Depuis le pur gothique affreux de la vidéo de Sweet Dreams (1995), dans le style Sepultura, jusqu'à l'incroyable tutti frutti de This is the New Shit (2003), il a fait du chemin.

Travesti depuis toujours, il est l'héritier des véritables mods, les précurseurs des punks, qui avant de devenir des fachos bien peignés étaient des dandies, androgynes et travestis mais hétérosexuels, voire homophobes (think Clockwork Orange).

Regardez le costume de Rock is Dead et pensez à Ziggy Stardust, 1970-73.


Et le costard de mOBSCENE, n'est-ce pas le Thin White Duke ? Sauf que David Bowie, lui, avait (et a toujours) vraiment un oeil en moins !

Les personnages de Marilyn Manson, comme ceux de Bowie avant lui, sont destinés aux adolescents.

J'ai vu Marilyn Manson en concert à Paris (oui oui) et j'ai été surprise par leur jeune âge. Ils ont plutôt 13-15 ans que 18-20. Certains gamins étaient chaperonnés par un de leurs parents qui tentait de faire les mots croisés du Monde dans la pénombre et le son dévastateur (il y a des parents vraiment très cools à Paris !).

A la puberté, les adolescents ont besoin de sortir de l'imagerie en sucre rose de l'enfance : Marilyn est le remède absolu contre la mièvrerie.

Autre avantage : c'est la revanche des moches. La vidéo de Tainted Love montre une foule de gothiques déchaînés envahir et outcooler les beaux preppies blonds en veste de baseball (et se faire leurs nanas). Le fantasme ultime de l'adolescent boutonneux (qui voit l'acné sous le maquillage ?)

Mais Marilyn ratisse plus large que le mélange hard-new wave-punk-gothique. Dans Tainted Love on voit déjà des danseurs de Hip Hop, ce qui ne serait jamais venu à l'idée de Iron Maiden.
Marilyn Manson a tout récupéré : le cabaret (merci Dita Von Teese), le porno chic, le lesbian chic, le sado-maso chic. Dans This is the New Shit (my personal favourite) il décode tout et se moque de son propre style : "everything has been said before".














Il y a même des belles pépées blondes qui boivent du champagne comme dans les vidéos de rappeurs. Mais là où les rappeurs ne font rien de leurs blondasses alanguies sur des chaises longues au bord de la piscine, Marilyn leur suce au moins les orteils... fétichisme anyone ? Toujours un peu plus loin mais jamais censurable : ai-je dit que Marilyn avait oublié d'être con ?




























Pour faire monter encore la sauce, Marilyn a trouvé un allié de poids : la droite religieuse américaine. Laura Bush (ou était-ce Barbara ?) l'avait fameusement appelé "le plus grand danger pour la jeunesse américaine depuis la poliomyélite". Ce que cette phrase lui a rapporté en publicité... it's priceless.
Mais pourquoi tant de haine ?
Apologie du suicide, de la drogue, de la violence ? Rébellion ? Nihilisme ? Oui, bon, c'est du gothique, quoi. Il y en a eu d'autres avant, il y en aura d'autres après. Ce qu'une catégorie de la société américaine ne peut pas avaler, c'est le sacrilège.

Plus que sataniques, les textes (et les images !) de Marilyn sont extraordinairement, jubilatoirement blasphématoires.
Regardez les bonnes soeurs porno de Personal Jesus ou le costume de Pape de Jesus is a Friend of Mine...
Je soupçonne que ce genre est plus destiné directement à provoquer la droite religieuse qu'à amuser son public qui doit s'en foutre presque autant que nous de Jésus.






















Alors, un danger public Manson ? La plupart des plus de trente ans n'ont probablement vu Marilyn Manson qu'une fois : dans le film Bowling for Columbine. A la fin de l'interview, Michael Moore lui demande ce qu'il aurait à dire maintenant aux jeunes de Columbine ; Marilyn répond qu'il ne leur dirait rien du tout, il écouterait ce qu'ils ont à dire, ce que personne n'a fait.
J'ai du mal à croire que cette réponse soit spontanée. Même s'il elle est préparée à l'avance, elle est sacrément bonne, peut être la seule réponse possible...

dimanche 19 juillet 2009

Grandes sambas : Pra qué discutir com Madame ?

Letra e Música : Haroldo Barbosa e Janet de Ameida, 1945.
Source : Dicionário Cravo Albin da Música Popular Brasileira.

Madame diz que a raça não melhora
Que a vida piora por causa do samba
Madame diz que o samba tem pecado
Que o samba, coitado, devia acabar
Madame diz que o samba tem cachaça
Mistura de raça, mistura de cor
Madame diz que o samba, democrata
É musica barata sem nenhum valor

Vamos acabar com o samba
Madame não gosta que ninguém sambe
Vive dizendo que samba é vexame
Pra que discutir com madame ?

No carnaval que vem tambem concôrro
Meu bloco de morro vai cantar ópera
E na avenida entre mil apertos
Vocês vão ver gente cantando concerto
Madame tem um parafuso a menos
Só fala veneno meu Deus que horror !
O samba brasileiro democrata
Brasileiro na batata é que tem valor !

"Madame tem um parafuso a menos" : Madame a une vis en moins, il lui manque une case, elle est complètement toquée !

Oui, c'est bien un samba, mais j'ai pas le son pour la version enlevée chantée entre autres par Elza Soares... Ni pour la version originale en 78 tours deux titres de 1945.

Reste que la version la plus célèbre de loin est la grande Bossa Nova bien desafinada de l'unique João Gilberto
Je ne vais même pas publier les vidéos d'imitateurs, ils sont trop loin derrière...

dimanche 5 juillet 2009

Isabelle Stengers : une rafale d'air frais dans la pensée.

La Belge Isabelle Stengers a connu la gloire mondiale dans sa jeunesse en co-signant en 1979 (trente ans déjà !) avec le chimiste Prix Nobel Ilya Prigogine "La Nouvelle Alliance", dont le titre est tiré d'une citation de Jacques Monod, autre Prix Nobel :
"L'ancienne alliance est rompue. L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'univers d'où il a émergé par hasard."
Que du beau monde... et une bonne base de réflexion.

Mais la petite Isabelle a vite pris des chemins de traverse, peut-être à cause de sa fréquentation précoce des mandarins, et quitté ses études de chimie pour s'adonner à la philosophie. Elle est la seule personne que je connaisse qui puisse citer
Deleuze de façon à ce que je comprenne quelque chose.
Elle a co-écrit deux livres avec un autre de mes héros l'ethno-psychiatre
Tobie Nathan.

Après avoir balayé Dieu d'un revers de manche négligeant, elle a également participé à l'assassinat de Freud : "La damnation de Freud" Ed. Les Empêcheurs de penser en rond, 1997.
Le Livre noir de la psychanalyse, Ed. Les Arènes, 2005. (Isabelle je t'aime, kiss kiss).

Officiellement professeur de philosophie et d'histoire des sciences à l'Université Libre de Bruxelles, loin de devenir réac en vieillissant comme bien d'autres intellectuels de gauche que je ne citerai pas j'ai pas la place, elle a l'air de tourner carrément au rouge.

Elle étudie les confins de la science et de la société, les sujets auxquels la doxa, la science officielle, réagit mal, avec rejet ou rigidité : l'hypnose, la sorcellerie, la drogue, l'écologie...
Iconoclaste au sens noble et littéral du terme, elle s'attaque désormais directement au grand totem, le capitalisme.

Derniers ouvrages parus : - avec
Philippe Pignarre, La Sorcellerie capitaliste, Paris, La Découverte, 2005.
- La Vierge et le neutrino. Quel avenir pour les sciences ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.
- Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2008.

Avec déléctation je découvris la semaine dernière une interviou de Mme Stengers dans
Siné Hebdo, canal sécessionniste de Charlie Hebdo (publicité gratuite pour les deux, pas de jaloux.)

Laissez moi faire d'abondantes citations, des fois que le lien vienne à se rompre avec
la vidéo de Siné Hebdo où l'on voit Isabelle Stengers à 60 ans parler belge en fumant des cigarettes roulées à la main... Vous verrez que le discours d'Isabelle rafraîchit des parties de votre cerveau que les autres philosophes n'atteignent pas.
Résumé du propos en un mot réjouissant : la "récalcitrance" !

"Au cours de ma troisième année de chimie, en 1969, j'ai réalisé que j'avais appris la physique quantique comme un savoir constitué, sans en percevoir les problèmes. Lorsqu'ils se sont posés à moi, j'ai conclu que j'étais perdue pour la science. Depuis, j'ai compris que c'est une réaction typique grâce à laquelle l'ordre règne chez les scientifiques. Un vrai chercheur doit ignorer "les grandes questions" qui peuvent faire douter. Le doute y est à peu près aussi mal vu que chez les staliniens. Ceux qui vont en philiosophie sont un peu des réfugiés politiques.

[Ilya Prigogine] au moment où il tenait les résultats qui lui ont valu son prix Nobel, voulait tendre la main à l'ensemble des sciences, y compris aux sciences humaines. Mais Prygogine était avant tout un physicien. C'était mon boulot que de penser les conséquences de ses travaux. J'ai beaucoup appris, parce que ces conséquences ont été accueillies comme "le nouveau message de la physique". Or, moi, ce que je voulais faire passer, c'est la physique en tant qu'aventure humaine, pas en tant que sommet de la pensée ou source de vérité prophétique sur le monde.

Je suis très fière et heureuse lorsque mon travail donne des outils aux organisations minoritaires qui fabriquent un savoir récalcitrant. (...) Apprendre de sujets qui fâchent, c'est apprendre aussi pourquoi ils fâchent et qui ils fâchent. (...) Passer pour une provocatrice est une conséquence de mon fonctionnement, mais je me décrirais plutôt comme une récalcitrante. Si j'entrevois la direction pour éviter de penser en rond, ça fait partie de mon métier que d'aller voir par là.
...
Aux Pays-Bas, les associations de junkies, les junkies Bonden, négociaient avec la Mairie d'Amsterdam les conditions de consommation de drogues afin de réduire les risques. La qestion de savoir vivre avec les drogues a plus avancé avec ces gens dont c'est la préoccupation qu'avec toutes les expertises psychologiques, sociologiques qui la noyaient bêtement dans un problème général de mal-être.
...
La grande nouveauté de ce que j'ai appelé "l'événement* OGM" réside dans le fait que les opposants ont fait bafouiller les scientifiques experts. Des citoyens ont compris puis montré qu'ils parlaient de ce qu'ils ne connaissaient pas, et même de ce qu'ils voulaient ignorer.
...
Le problème des experts, c'est qu'ils savent très bien qui les engage et ce qui sera considéré comme plausible ou irresponsable de ce point de vue. Ils vont d'autant moins ruiner leur réputation qu'il n'y a pas en général de contre-expertise. La question des OGM à Bruxelles relève du fonctionnement du marché, pas de la politique enveronnementale. Ceux qui sont nommés savent qu'il s'agit de minimiser tout obstacle à la libre circulation. Ils jouent donc avec les incertitudes pour rester plausibles.

La crise que nous connaissons actuellement n'est rien comparée aux événements* irréversibles qui arriveront d'ici peu : réchauffement climatique, pollutions multiples et grandissantes, épuisement des nappes phréatiques, etc. Le capitalisme est incapable d'apporter des solutions, seulement de transformer les problèmes en instruments de profit. Et les organisations étatiques ont renoncé à tous les moyens de l'en empêcher.

...
Il est dans la nature du capitalisme d'exploiter toutes les opportunités, et la croissance verte en est une ! Il y a fort à parier que ses conséquences seront nettement moins vertes... J'aime bien les objecteurs de croissance, mais la décroissance est une théorie triste. L'impératif de décroissance est mal défendu contre une barbarie moralisatrice techno-policière. Entre cela et la barbarie capitaliste, je demande à ne pas choisir. Comme l'a dit Deleuze : "La gauche, si elle doit être différente de nature de la droite, c'est parce qu'elle a besoin que les gens pensent." Et cela veut dire savoir que la pensée n'est pas réservée à une élite.
...

Comment lutter pour l'emploi et refuser l'impératif "relancer la croissance" ? Il ne faut pas avoir peur d'être accusé d'incohérence, d'irresponsabilité. Il faut refuser de hiérarchiser les problèmes. Ce n'est pas facile et cela demande de faire confiance aux gens, à leurs capacités de penser, d'échapper aux alternatives qui réduisent à l'impuissance. Malheureusement il y a des "responsables" un peu partout qui pensent qu'ils "savent" mais que ceux dont ils sont responsables ont besoin de croire à des solutions simples. S'ils ont raison, on est foutus. Moi je mise sur le fait que nous ne savons pas de quoi les gens sont capables, parce que ce que nous connaissons est le résultat d'une "gouvernance" qui les a systématiquement dépouillés des moyens de penser ensemble et de faire une différence collective qui compte. Notre démocratie est un art de gouverner un troupeau, et les bergers ont pour impératif d'éviter la panique.
...
Aujourd'hui, pendant les manifestations, on n'occupe pas les rues sur un mode qui donne l'appétit d'un monde différent. Je n'ai rien contre lancer des pavés, mais c'est une action individualiste. Nos moeurs politiques sont tristes : si l'expérience militante relève du sacrificiel, si la politique n'est pas source de vie, il y a une limite à laquelle on se heurtera et on le paiera chèrement."








*merci à Siné Hebdo pour les deux accents aigüs à événement, NDLR

vendredi 3 juillet 2009

Thank You for Smoking IV

To say there's been an opinion shift about tabacco in the last 100 years is a big, big understatement... Il n'y a pas eu un retournement aussi brutal depuis qu'on a découvert que la radio-activité n'était peut-être pas si bonne pour la santé, finalement.
Demandez à Marie Curie...

PARIS 1920. Langueur art nouveau.


Camel 1935 : ôtent la fatigue sans taper sur les nerfs. Comment font-elles ?










Quand le tabac était bon pour la santé : recommandé par le séduisant docteur, le sémillant dentiste... et vous permet même d'avoir l'estime de votre nourrisson...

Années 50...


















Premières campagnes anti-tabac :







USA 1969, ironique.














1985 : un petit air soviétique...








1993 : de l'humour, mais pas pour longtemps... Aussi les premières campagnes contre le tabagisme passif.











A partir de la fin des années 90, c'est l'escalade de la terreur :




Canada : les photos deviennent graphiques, si j'ose dire, et les messages de plus en plus directs ; on n'est pas là pour rigoler.













Espagne : projet de communication sur les paquets de cigarettes. L'Europe est bien sûr en retard sur ses camarades anglo-saxons, ainsi que sur à peu près tous les autres pays, Amérique latine, Inde...













Les Anglais, les rois du gore, toujours.
















Prochaine campagne britannique. Il est mort allright, could'nt get any deader.

D'accord, une fois qu'on en est là, qu'est-ce qu'on fait ?

je propose l'odoroma (cendrier froid, sang, gangrène) ou la sonorisation (toux, râles d'agonie, requiem).








Mais ! Comme d'habitude, j'ai gardé le meilleur pour la fin, un bijou de 1960 :
"Crachez-lui la fumée à la gueule, et elle vous suivra n'importe où !".
Ils ont oublié de préciser "comme un chien derrière son maître"
comme dans les publicités des marabouts.
A mon avis si elle vous suit ça sera pour vous filer
des coups d'escarpins pointus dans le Q, oui !