dimanche 25 décembre 2011

The Hitch is gone : lecture de Christopher Hitchens

Il serait de mauvais goût, ou tout au moins malhonnête intellectuellement, de faire l'éloge funèbre de Christopher Hitchens, qui a gagné une bonne partie de sa renommée en insultant les morts. Et surtout les mortes.

Hitchens a d'abord attiré mon attention en 1997, par sa lutte contre l'orgie de bons sentiments provoquée par la mort de Lady Diana Spencer en juillet, puis de Mère Teresa en septembre. En tant que gauchiste britannique émigré aux Etats-Unis, Hitchens était farouchement républicain et anti-monarchiste. Par ailleurs, il avait publié une charge contre Teresa, un livre traduit en français sous le titre anodin Le mythe de Mère Teresa, alors qu'en anglais il est délicieusement intitulé La position du missionnaire.

A la fin de l'année 1997, Hitchens publia un article goguenard dans Vanity Fair, expliquant qu'il n'avait jamais autant travaillé, car tous les médias voulaient organiser une émission spéciale qui sur Lady Di, qui sur Teresa, et cherchant un contradicteur pour animer le débat, ne trouvaient que lui. Il avait donc passé l'été et l'automne à hanter les studios de télévision et de radio, comme avocat du diable professionnel, en quelque sorte. Cette position d'unique contempteur officiel de Teresa, qu'il avait fameusement traitée de "Albanian dwarf", eut des conséquences inattendues.

Quelques années plus tard, Hitchens raconta, de nouveau dans Vanity Fair, qu'il avait été officiellement invité par le nonce apostolique (l'ambassadeur du pape) à témoigner au procès en béatification de Teresa. Dans un article passionnant, Hitch explique qu'un procès en béatification ne s'appelle pas comme cela pour rien, c'est (ou c'était) en effet une procédure contradictoire, durant laquelle l'avocat du Diable était invité à présenter des arguments contre la béatification en question.
Evidemment, Hitchens se rendit à Rome, ravi d'être nommé littéralement Advocatus Diabolicum. L'occasion était d'autant plus unique qu'entre temps Jean-Paul II avait réformé la procédure de béatification pour pouvoir produire des Saints à la pelle (le "Santo Subito" des Italiens) et supprimé la procédure contradictoire, le procès de Teresa étant le dernier à se dérouler selon l'ancien rite.

Entre temps Hitchens s'attaqua aux vivants en descendant en flammes la politique des Clinton (No One Left to Lie to : the Values of the Worst Family), et en s'agitant beaucoup pour demander le procès de Henry Kissinger. Son livre The Trial of Henry Kissinger a inspiré un documentaire en 2002.

Je m'aperçois qu'il n'y a que cinq livres du Hitch traduits en français, pour la plupart par de petits éditeurs. Hitchens, Chomsky, Gore Vidal, les intellectuels de gauche des Etats-Unis n'ont pas la cote en France. Peut-être les Français tiennent-ils ou croient-ils à leur position dominante dans ce domaine ?

Mais il est dangereux de prendre l'habitude d'avoir presque toujours raison contre presque tout le monde. Après le 11 septembre, Hitchens se prononce en faveur de l'intervention en Irak. En fait "se prononce en faveur" est un euphémisme. Dans ses mémoires, Hitch-22, il explique en détails son intense lobbying pour pousser l'administration Bush à la guerre, et confirme à cette occasion que le principal responsable de cette aventure est Paul Wolfowitz.

Les bonnes intentions de Hitchens, son souhait de faire tomber Saddam Hussein pour ses atteintes aux droits de l'homme ne font pas de doutes, au moins dans mon esprit, mais en tant qu'auto-proclamé journaliste spécialiste des conflits, il aurait dû se méfier d'une alliance objective avec les néo-conservateurs les plus enragés de l'administration Bush. Si même Wolfowitz, d'après mes recherches, était probablement sincère dans son aveuglement idéologique, les Cheney et Rumsfeld avaient un autre agenda : celui de partir avec la caisse. La guerre en Irak fut finalement un désastre politique, militaire et financier : de 300 à 500.000 victimes, 3,5 millions de réfugiés, et un coût qui pourrait aux dernières nouvelles s'élever à 4000 milliards de dollars.

Hitchens a refusé jusqu'au bout d'admettre son erreur, et il a continué à défendre la guerre en Irak, tout en critiquant violemment l'administration Bush dans tout le reste de sa politique, et en se défendant de toute ambiguïté, au risque de perdre le bien le plus précieux d'un polémiste, et d'un intellectuel : la cohérence.

Ceci a conduit à des moments embarrassants, comme sa lettre aux parents de l'un de ses jeunes admirateurs tué en Irak en 2007, A Death in the Family. En 2008, peut-être à titre d'expiation ? Par solidarité en tout cas, il se soumet, sous supervision médicale, à la torture dite du waterboarding.


Au cours des années 2000, Hitchens revisite les classiques, George Orwell, Thomas Payne, Thomas Jefferson, peut-être à l'occasion de sa naturalisation étazunienne en 2007.

Parallèlement, il connaît enfin la gloire (éditoriale) en s'attaquant directement au bon dieu plutôt qu'à ses saints, dans god is not Great (noter le choix des majuscules).
Il se permet en septembre 2007 un titre d'une sauvage ironie dans Vanity Fair : Dieu merci, c'est un best-seller !
En réalité ce livre est d'un intérêt relatif pour nous autres Français blasés pour qui la religion chrétienne n'a qu'une existence plutôt théorique. La démonstration point par point que tout ce que raconte la bible est du pipeau ne m'apprend pas grand chose.

En revanche, The Portable Atheist est tout simplement le livre que j'aurais voulu écrire : un recueil d'écrits athées de tous les pays et de toutes les époques, tout-à-fait fascinant. Sa collection est plus portée sur les écrits anglo-saxons que la mienne, évidemment, et j'y ai appris plein de choses, notamment sur l'inquisition.

Toute cette propagande athée a propulsé le Hitch sur le fauteuil de patron de l'athéisme mondial de Richard Dawkins, qui est devenu un sofa (le fauteuil, pas Dawkins). Hitchens est l'un des quatre cavaliers dans le documentaire de 2007 Four Horsemen, avec Dawkins, Daniel Dennett et Sam Harris.

En juin 2010, Hitchens annonce que son médecin lui a conseillé d'entreprendre une chimiothérapie. Comme disait Pierre Desproges, Noël au scanner, Pâques au cimetière. L'inverse est également vrai. Après avoir écrit de nombreux articles sur le cancer, l'hôpital, la mort, l'absence d'enfer ou de paradis, avoir prié tout le monde de ne pas prier pour lui, il est mort le jour de la fin officielle de la guerre en Irak, le 15 décembre 2011.

jeudi 15 décembre 2011

samedi 3 décembre 2011

Rédemption de Douglas Coupland

J'avais fait une présentation pas entièrement positive, disons, de l'oeuvre du canadien Douglas Coupland dans un précédent article, à l'occasion de la lecture de The Gum Thief.

J'ai le plaisir d'annoncer aujourd'hui que j'ai adoré son bouquin suivant, Player One (Joueur_un en français).
Il est intéressant de noter que le sujet est exactement le même, que l'on peut résumer par : "J'ai 45 ans et ma vie est une tartine de merde, bouaah !"

Or, si The Gum Thief m'avait paru rigoureusement inintéressant, au point de me faire penser à un roman français (horror !), j'ai trouvé Player One tout-à-fait réussi.

Je m'exprime à la première personne non par nombrilisme mais parce que je ne prétend pas être l'arbitre des élégances en matière de littérature, et je continue de penser que, à part les créations les plus manifestement sublimes ou exécrables, tout est largement une question de goût.

Ce court roman, qui pourrait avantageusement être transformé en pièce de théâtre, rassemble dans un huis clos (le plus hermétiquement possible, d'ailleurs) six personnages confinés fortuitement dans un bar glauque d'aéroport par la survenue soudaine et inattendue de la fin du monde tel que nous le connaissons.

Voilà un prétexte parfait pour méditer seul ou en groupe sur la vie, la mort, l'amour et le reste, chose qu'ils étaient de toutes façons déjà occupés à faire avant ladite survenue. Heureusement que je suis pas journaliste à Libé, j'aurais titré : Six personnages en quête de hauteur...

Les six zozos ont en commun d'être tous plus ou moins gravement des loosers, Coupland n'ayant pas l'habitude d'écrire sur les super-héros, mais à part ça ils sont radicalement différents les uns des autres. On trouve un barman ex-alcoolique, une mère célibataire, un beauf, une autiste, un pasteur fraîchement défroqué et un fanatique meurtrier.
Tous disent ou pensent presque la même chose, mais sur des registres et avec un vocabulaire évidemment très différents, c'est là que réside entre autres le talent littéraire.

Or, si me faire partager les préoccupations d'un ex-alcoolo ou d'une vieille morue, ou même d'une autiste, ne paraît pas très difficile, vus mon âge et ma condition, il en est tout autrement des angoisses d'un pasteur protestant qui vient de partir avec la caisse de sa paroisse, ou d'un psychopathe chrétien millénariste qui tire sur tout ce qui bouge.

Et pourtant je partage, ça résonne, quelque part, au niveau du vécu, comme dit l'autre, mais aussi littéralement. C'est peut-être moi, à vous de voir. Et c'est drôle aussi par moments. Bref c'est fin.

Bon après vers la fin ça part fortement en c... apilotade, en même temps c'est la fin du monde, difficile de s'en sortir élégamment, puis finalement non, et on reste avec un half-assed happy ending et une panoplie de concepts pour finir d'écrire le roman soi-même, peut-être.

Tout cela n'est pas exempt de tous les tics de geek qui nous ont fait aimer l'auteur, ni de nonchalance, puisque le roman est une récupération d'un texte présenté aux Massey Lectures en 2010. Malgré cela il mérite à mon avis largement les quelques heures consacrées à sa lecture. En réalité, il est pratiquement écrit en temps réel, puisque l'action est censée se dérouler en cinq heures, les cinq chapitres ayant été lus par Coupland dans cinq conférences d'une heure.

En résumé, beaucoup de talent, peu d'efforts. Décidément, je m'apprête toujours à le couvrir de louanges, et je finis toujours par l'insulter, pauvre Douglas, ce doit être un don qu'il a...


Coupland submits novel (!) for 2010 Massey Lecture
http://www.telegraph.co.uk/culture/books/bookreviews/8006539/Player-One-by-Douglas-Coupland-review.html
http://www.guardian.co.uk/books/2010/oct/16/player-one-douglas-coupland-review
http://mookseandgripes.com/reviews/2010/09/28/douglas-coupland-player-one/

dimanche 27 novembre 2011

Boycott ou pas boycott ?

Certains de mes curieux et fidèles lecteurs, enflammés par l'article précédent, se sont tout naturellement interrogés sur le boycott.

Charles Cunningham Boycott c'est lui. Une des rares personnes à avoir ajouté un mot au vocabulaire de son vivant. Mais je doute qu'il ait eu l'occasion de s'en réjouir.

En réalité (je résume), après s'être comporté de manière généralement psycho-rigide et avoir voulu augmenter les loyers de ses fermiers dans l'Irlande misérable de 1880, il fut en butte à une grève générale de ses employés, puis à un refus de le servir de la part de tous les artisans et fournisseurs de la région, jusqu'à faire faillite et devoir quitter le pays (il était Anglais, ce qui n'aidait en rien).
Les détails de cette très intéressante aventure (en anglais) se trouvent ici.
Ironie de l'histoire, Mr Boycott ne fut pas victime d'un boycott au sens moderne du terme, car il n'avait aucun produit à vendre que le bon peuple pût refuser d'acheter, mais plutôt d'un ostracisme.

Si le boycott lui-même ne peut être interdit, car on ne peut interdire à un individu de s'abstenir d'acheter quelque chose, du moins pas encore, quid en revanche de l'appel au boycott ?
Un bref sondage par Google.fr donne des résultats partagés à peu près à parts égales entre "l'appel au boycott est interdit en France, quel scandale !" et "il y a une légende qui dit que l'appel au boycott est interdit en France, pfff, n'importe quoi !"
Or lorsque Google ne donne pas une réponse franche et massive, ça mérite de creuser la question.
Je vous préviens tout de suite, c'est pas clair.

Il faut d'abord distinguer le boycott des produits fabriqués par une entreprise et le boycott des produits exportés par un pays. Si vous appelez à boycotter les produits Duchmol, soit c'est parce que vous considérez que les Duchmol sont des salauds, soit vous vous foutez des Duchmol mais ils produisent en Gagaouzie et vous détestez les Gagaouzes, ou la politique du gouvernement gagaouze. Evidemment c'est pas pareil.

Wait, what ?
Or, il faut bien reconnaître que 90% des appels au boycott qui circulent aujourd'hui concernent les produits exportés par Israël. Je refuse absolument de rentrer dans la polémique à ce sujet, mais c'est ce qui alimente la jurisprudence.

1° L'affaire Willem
Jean-Claude Willem avait été condamné en 2009, alors qu'il était maire de Seclin (Nord), pour avoir appelé au boycott des jus de fruits israéliens dans les cantines de la ville. La Cour d'Appel de Douai, suivie par la Cour de Cassation, avait considéré que les propos tenus par M. Willem manifestaient une volonté discriminatoire et constituaient une entrave à l'exercice normal de l'activité économique de personnes en raison de leur nationalité.

Ces jugements étaient basés sur deux articles.
D'une part, l'article 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, qui n'est autre que le loi sur la liberté de la presse.
Cet article punit la provocation publique à "la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée", à un an d'emprisonnement et/ou 45 000 euros d'amende.

D'autre part, l'article 225 du Code Pénal* qui condamne aux mêmes peines notamment "l'entrave à l'exercice d'une activité économique" fondée sur des motifs discriminatoires.

Le bon M. Willem, avec une louable persévérance, porta l'affaire devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui confirma la légalité de la procédure. Mais ! La décision de la CEDH du 16 juillet 2009 est abondamment comprise de travers sur internet. En effet, la CEDH considère que la Cour de Cassation a eu raison de condamner M. Willem, mais pas pour appel au boycott.
Elle note que la Cour de Cassation avait reproché au maire d'avoir annoncé son intention de demander aux services municipaux de ne plus acheter des produits israéliens. Or donc, "au-delà de ses opinions politiques, pour lesquelles il n'a pas été poursuivi ni sanctionné, et qui entrent dans le champ de sa liberté d'expression, le requérant a appelé les services municipaux à un acte positif de discrimination, refus explicite et revendiqué d'entretenir des relations commerciales avec des producteurs appartenant à la nation israélienne."
La CEDH considère ainsi que le M. Willem a été condamné sur la seule base du Code Pénal, en raison de sa qualité de décideur public ayant autorité sur le personnel municipal. En d'autres termes, il n'a pas le droit d'interdire aux services de restauration de sa commune d'acheter des produits israéliens, simplement parce que la politique de Sharon ne lui revient pas.
Ce qui relève de la liberté de la presse, et le fait que cette décision ait été annoncée dans La Voix du Nord, n'a rien à voir dans l'affaire.

En d'autres termes, l'article 24  de la loi sur la liberté de la presse, qui se penche sur l'expression d'une discrimination, ne s'occupe pas de discrimination économique, tandis que l'article 225 du Code Pénal, qui condamne l'action d'entrave à l'activité économique, ne s'occupe pas de l'expression d'une opinion.

Conclusion, ces deux articles ne peuvent pas copuler pour enfanter l'interdiction d'appeler au boycott.

Cette interprétation n'a pas échappé aux défenseurs du boycott, qui ont crié victoire, alors que les défenseurs de l'interdiction, notant que la condamnation avait été confirmée, criaient victoire aussi, et tout le monde était content.


Le sceau du Garde des Sceaux
2° La brillante idée du Garde des Sceaux
Mais cette situation généralement satisfaisante ne dura pas longtemps.
Dans une directive du 12 février 2010 adressée par le directeur des affaires criminelles et des grâces aux procureurs généraux près les cours d'appel, le ministère de la justice indique que tout appel au boycott des produits d'un Etat est susceptible de constituer une infraction de "provocation publique à la discrimination" et demande aux procureurs d'assurer "une répression ferme et cohérente" de ces agissements.
D'après ce que nous dit Me Ghislain Poissonnier, magistrat, dans la Gazette du Palais du 28 août 2011**, "près d'une centaine de personnes est actuellement sous le coup d'une procédure judiciaire pour avoir, à des degrés divers, participé à des actions de boycott contre l'Etat d'Israël."

Libération croit savoir que "la paternité de cette brillante initiative revient au procureur général de Paris qui avait, dans son rapport de politique pénale 2009, suggéré que les faits de boycott ou de provocation au boycott peuvent s’analyser, selon les espèces, soit en une provocation à la discrimination, soit en une discrimination ayant pour effet d’entraver l’exercice d’une activité économique".

Diantre. Loin de moi l'idée de mettre en doute les compétences juridiques du directeur des affaires criminelles et des grâces, mais "provocation publique" ? Maintenant que nous en savons beaucoup plus sur le sujet, nous serions enclins à penser que l'appel au boycott est "susceptible" de représenter une entrave discriminatoire à l'activité économique d'une personne morale (ou pas), mais pas un délit d'expression.
L'un de nous n'a rien compris au film...

C'est cette directive qui a provoqué une modeste polémique dans la presse et sur internet, polémique rendue incompréhensible par le fait qu'aucun journaliste ni commentateur n'allait, comme votre servitrice, passer deux jours à étudier la question pour aller au fond des choses.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là, comme dans tout bon feuilleton, après ce coup de théâtre, la suite au prochain épisode...

Palais de justice de Paris
3° La riposte du tribunal correctionnel de Paris

Le 6 juillet 2009, une dame poste sur internet la vidéo d'une manifestation organisée deux jours plus tôt par des militants au centre commercial d'Evry pour appeler les clients à ne pas acheter les produits en provenance d'Israël (encore).
Le procureur, fidèle à (et sur ordre de) son ministre, qualifie ces faits de provocation à la discrimination nationale, d'après la loi de 1881 sur la presse.

Par jugement du 28 juillet 2011, tatzan ! le tribunal correctionnel relaxe la prévenue.
Il commence par faire une remarque simple, mais utile : l'article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 vise la discrimination contre des personnes ou groupes de personnes physiques, c'est à dire des gens, et pas contre des Etats, ou contre des personnes morales, c'est à dire des entreprises.
Si vous êtes parvenu à lire jusque là, l'extrait suivant du jugement devrait vous paraître clair comme l'eau de roche : "le texte visé ne saurait être invoqué pour interdire, en tant que tel, l'appel à une forme d'objection de conscience, que chacun est libre de manifester ou pas, dépourvu de toute contrainte susceptible d'entraver la liberté des consommateurs, lancé par des organisations non gouvernementales ne disposant d'aucune prérogative de puissance publique, à ne pas acheter des produits en provenance de tel pays déterminé, en guise de protestation morale contre la politique de cet Etat."
Plaf ! Ce juge fait des phrases un peu longues, mais il dit "ou pas", ce qui me le rend sympathique, et il dit fort et clair le contraire de ce que dit le ministère de la justice.

Nul doute que cette décision est vouée à un grand avenir en cour d'appel, en cour de cassation et à la cour européenne des droits de l'homme, pour peu que l'association de la dame prévenue en question soit aussi opiniâtre que M. Willem. La suite au prochain épisode, dans quelques années, à moins que le Garde des Sceaux ne change d'avis un de ces quatre, ce qui n'est pas entièrement improbable...

Mais, me direz-vous peut-être, pourquoi lisai-je tout ce pensum indigeste qui ne m'intéresse en rien, alors que moi je veux boycotter les produits Duchmol, non pas parce qu'ils sont israéliens, mais parce que ce sont des putain d'enfoirés, et j'ai des preuves !

Ah oui ma chère Maud, de ce côté là aussi, c'est un peu compliqué...
Car pendant ce temps, au civil, le tribunal de grande instance de Paris condamne benoîtement l'appel au boycott.
Mme C. n'est pas satisfaite de l'appartement qui lui a été vendu par un promoteur immobilier. Elle crée un site internet spécialement pour dénoncer les manquements de ce promoteur et appeler au boycott de ses autres programmes.
Par jugement du 25 janvier 2010, le tribunal nous explique que "Madame C. pouvait être légitimement irritée par les retards récurrents du programme immobilier dans lequel elle avait investi une somme importante, même s’ils pouvaient s’expliquer par la déconfiture de l’entreprise de gros œuvre. Pour autant, elle n’était pas fondée à appeler au boycott d’un autre programme du promoteur. En le faisant, elle a manifesté une intention de nuire audit promoteur et engagé sa responsabilité civile."
Cependant, le site de Mme C. étant resté en ligne peu de temps et sa fréquentation étant qualifiée de "très modeste", le tribunal considère que le préjudice causé est négligeable, et la condamne à un euro symbolique.

Donc, vous avez le droit d'appeler au boycott, mais vous êtes financièrement responsable du préjudice causé, sauf à pouvoir démontrer que votre appel n'a eu strictement aucun effet. Génial.

En résumé, NON l'appel au boycott n'est pas interdit en France, MAIS ça ne vous empêchera pas d'être condamnés.
Ah vous croyiez vivre dans un Etat de droit ? Zut, je vous ai encore déprimés....


Sources :
*Article 225-1 du Code Pénal
*Article 225-2 du Code Pénal
http://www.liberation.fr/politiques/01012303092-il-est-desormais-interdit-de-boycotter
http://www.pcinpact.com/news/55971-boycott-internet-site-interdit-liberte.htm
**http://www.france-palestine.org/IMG/pdf/gazette_palais_BDS_-_aout_2011.pdf
Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, 16 juillet 2009
http://www.legalis.net/?page=jurisprudence-decision&id_article=2865


vendredi 25 novembre 2011

Buy Nothing Day !

Samedi 26 novembre 2011 : http://www.buynothingday.co.uk/

J'aime leurs slogans :
"No Purchase Necessary !"
"Participate by not participating !"

Quand on voit ce qui se passe aux Zétazunis aujourd'hui, pour le Black Friday, on se dit que c'est pas gagné...



dimanche 23 octobre 2011

Abercrombie and Fitch, le vilain Americain

Il y a déjà des années que les enfants de l'upper middle class française demandent à leurs parents, lorsqu'ils partent en voyage d'affaires aux Etats-Unis, de leur ramener des habits de Abercrombie and Fitch.

En mai 2011, la marque s'est installée sur les Champs-Elysées. Enfin ! Comme s'exclament tous les blogs de fashion-victims.
Enfin, vos enfants vont pouvoir participer sur place à la destruction de la civilisation, avec votre argent.
Oh, goody goody !

A la fin du XIXème siècle M. David Abercrombie rencontra M. Ezra Fitch et ensemble ils ouvrirent à Manhattan une boutique d'équipements de luxe pour les excursions de pêche et de chasse de l'upper class.
Cette entreprise prospéra en vendant sur catalogue des casques coloniaux, des cannes à pêche et des fusils à éléphants, toutes choses qui finirent par se démoder dans les années 60, jusqu'à mener à la faillite en 1976.

Le nom et le fichier des clients changèrent de mains plusieurs fois. And then, in 1992, came Mike Jeffries.
La société propriétaire d'A&F, The Limited, basée dans l'Ohio, nomma Jeffries pour "revamper" la marque, comme on dit en anglais, et pour revamper, il a revampé...

Je vous épargne de longs développements sur la stratégie du branding, on peut lire la réédition mise à jour de No Logo, de Naomi Klein. Les campagnes de publicité de A&F sont un modèle du genre.

M. Jeffries a un idéal de beauté disons réducteur. Son idéal doit être grand et beau et costaud, et blanc, et blond, et glabre. Et riche. Et de préférence, patriote.
Les sujets sont surtout masculins et me rappellent irrésistiblement les Hitler Jungend. Sauf que ces derniers étaient plus habillés.

Car, deuxième particularité, les publicités de A&F ne montrent pas les habits. Leurs modèles sont pratiquement à poil. Ils s'habillent chez tout-nu, comme disait mon grand-père.

Le système pavlovien est bien connu : associer solidement dans le cerveau la marque Abercrombie & Fitch avec des visions de sexe et de nudité. Très efficace particulièrement chez les adolescents victimes impuissantes (si j'ose dire) de leurs bas instincts. Ici, message spécial : Jeune homme, acheter très cher un t-shirt Abercrombie and Bitch ne te donnera pas magiquement les abdos du type sur la photo, ni sa (supposée) vie sexuelle. Quoique.
Car si l'objet de ta concupiscence est elle/lui aussi fan des campagnes A&F, et associe illico la vue du logo sur ton t-shirt à des idées de sexe et de nudité... Ca peut le faire...

Dans les années 2000, le photographe Bruce Weber, connu pour sa pornographie chez Calvin Klein, fait du catalogue A&F un classique de l'homo-érotisme, et un ornement de choix des tables basses dans les intérieurs gay, au point d'alarmer les incontournables ligues de vertu américaines. Tout en publiant un catalogue interdit aux moins de 18 ans sous plastique opaque, la direction de la marque assure que les photos de jeunes Apollons nus se roulant les uns sur les autres ne font que dépeindre "l'esprit de camaraderie si caractéristique des valeurs américaines".
Je vous laisse juger...
Personnellement je me fais du souci pour ces jeunes gens : sont-ils rasés de force ou épilés à la cire ? L'absence du moindre poil est si évidente que Google associe ces photos avec des publicités pour l'épilation au laser !

Anyway, la progression commerciale fulgurante de A&F n'est qu'une longue suite de scandales, procès, boycotts et autres indignations publiques, les valeurs soi-disant véhiculées par la marque, la beauté et l'insouciance de la jeunesse, étant plutôt pour beaucoup un racisme et un sexisme rarement assumés avec autant d'arrogance. Il y a même un livre entier consacré à la question :  Why I Hate Abercrombie & Fitch : Essays on Race and Sexuality par un certain Dwight A. McBride.

La sordide ironie de l'affaire est que ce "modèle" physique qui exclut à peu près 99% de la population des Etats-Unis comme d'ailleurs est connu sous le nom de "All American"...

Mais tout ceci n'est pas le plus grave et nos enfants de riches n'ont qu'à développer une résistance à la publicité ou bien mourir de faim ruinés par leur addiction à la société de consommation. I don't really care.

Le problème est ailleurs.
Il n'y a pas grand monde parmi les indignés des universités "libérales" aux Zétazunis qui se soit penché sur les produits vendus par Abercrombie & Fitch.

Il faut dire qu'on ne les voit jamais ! Ni sur les publicités, ni dans les boutiques, où il fait noir. Car c'est un autre gimmick de la marque que d'ouvrir sur les plus prestigieuses avenues du monde des boutiques géantes qui ressemblent à ces discothèques cathédrales qui sévissaient dans les années 70, style studio 54, avec de la musique à fond et bien sûr des beautiful people dénudés comme vendeurs et vendeuses, qui ne font pas l'objet d'une procédure de recrutement mais d'un "casting" dans un esprit d'insouciante camaraderie qui fait fi du code du travail.

Finalement les habits quand on prend la peine d'aller les voir sur le catalogue sont très quelconques, c'est ce qu'on appelle le style preppie en anglais, une espèce de mélange de minet et de bûcheron canadien. Polos, pulls torsadés, jupes plissées, chemises à carreau et jeans déchirés. Plus une étrange obsession pour les tongs.
Le tout quatre fois plus cher qu'aux Trois Suisses.

Bien, et alors, d'où viennent ces vêtements ? Comment et par qui sont-ils fabriqués ? Voila qui est beaucoup plus difficile à savoir. C'est là que le bât blesse vraiment, et même tue parfois.
Tout comme Wal Mart, Carrefour ou H&M, Abercrombie fait fabriquer ses produits par des esclaves dans le tiers-monde. La différence, c'est qu'il n'a même pas l'excuse de vendre à bas prix.

Ashulia, Bengladesh
Quelques campagnes organisées par les admirables associations Clean Clothes et Change.org nous éclairent sur les conditions de production. On sait que toutes les marques de confection que nous connaissons sous-traitent la fabrication, ou plutôt l'assemblage des vêtements à des entreprises principalement asiatiques qui emploient des ouvrières dans des sweat-shops, ateliers installés dans des zones franches où personne ne paie d'impôts. Si quelqu'un se plaint des conditions de travail, a l'idée de la ramener en formant un syndicat ou en ameutant la presse, il suffit de rompre le contrat et de passer commande ailleurs. Le sous-traitant fait faillite, ses responsables disparaissent dans la nature, et voila !

En 2010 Abercrombie a figuré dans le Sweatshop Hall of Shame, établi par l'International Labor Rights Forum, en compagnie de Hanes, Ikéa, Pier Import, et bien sûr Walmart.  Cette liste, je cite, "highlights the most abhorrent of companies."
"Ces entreprises emploient des travailleurs qui triment de longues heures dans des conditions dangereuses pour des salaires de misère. Lorsque ces travailleurs tentent de former un syndicat pour exprimer collectivement leurs difficultés, ils sont menacés par leur direction, et risquent d'être licenciés ou même battus. Ces entreprises utilisent des fournisseurs qui emploient des pratiques illégales pour supprimer les droits des travailleurs."

Partout dans le monde les syndicalistes sont menacés de licenciement, et les droits des travailleurs sont mis à mal, c'est vrai. Mais ce n'est pas tout à fait le même niveau. Un exemple : connaissez-vous Saipan ?

Saipan est la plus grande des quatorze îles qui forment l'archipel des Mariannes du Nord, dans l'océan Pacifique. Elles font partie du commonwealth des Etats-Unis.
Saipan abrite une industrie de la confection d'un volume de plus d'un milliard de dollars. Une trentaine d'usines emploient plus de 10.000 travailleurs, la plupart des jeunes femmes originaires de Chine, des Philippines, de Thaïlande, du Viet-Nam ou du Bengladesh.

En 1999, les travailleurs de Saipan associés à plusieurs ONG ont réussi à porter plainte contre des dizaines de grands noms du prêt-à-porter. Le contenu de la plainte est édifiant.
Les employés, logés dans des conditions déplorables, travaillaient douze heures par jour, sept jours par semaine. Ils étaient payés 3,05 dollars de l'heure, sans paiement des heures supplémentaires. Mais en réalité ils n'étaient pas payés du tout, car les recruteurs qui leur avaient fait miroiter des super conditions de travail "aux Etats-Unis", leur avaient d'abord extorqué jusqu'à 7000 dollars de commission pour être embauchés.
De nombreux travailleurs ont aussi témoigné qu'ils avaient signé des contrats "fantômes" par lesquels ils renonçaient à des droits élémentaires comme adhérer à un syndicat, assister à des services religieux, se marier, ou même démissionner ! De toutes façons, ils n'avaient pas les moyens de rentrer chez eux, et leurs passeports étaient confisqués. La conclusion des avocats des plaignants est la même que la vôtre : esclavage.
Comble de cynisme, les employeurs ont été également accusés de publicité mensongère, pour avoir utilisé des étiquettes "Made in the USA",  et fait la promotion de leur produits comme étant fabriqués dans des conditions éthiques !

Après cinq ans de bataille judiciaire, 23 fabriques de Saipan et 26 détaillants ont versé 20 millions de dollars d'indemnité à titre de "réglement amiable" (settlement), et ont promis de cesser leurs abus les plus grossiers.
Parmi les entreprises américaines concernées se trouvent Abercrombie, Calvin Klein, Donna Karan, Gap, J. Crew, Liz Claiborne, HoshKosh, Polo Ralph Lauren, Tommy Hilfiger.
Le seul qui a refusé jusque au bout de participer au fond d'indemnisation est Levi's, un autre très vilain Américain.

En 2010, l'organisation Clean Clothes est entrée dans un nouveau bras de fer avec Abercrombie, au sujet d'une fabrique qui avait fermé "inopinément" au Cambodge en 2008, sans payer les salaires ni les indemnités de licenciement. Sous la pression de l'ONG, les autres clients de cette société, Gap (encore !) a accepté de payer "une partie" des indemnités, et Target a proposé 5 dollars par personne, ce qui a été refusé par le syndicat... Seul Abercrombie a fait le mort.

Je traduis ce que Clean Clothes a à dire sur la question :
"En termes de responsabilité sociale des entreprises, Abercrombie and Fitch est l'une des plus conservatrices parmi les entreprises occidentales de prêt-à-porter. La marque à la mode n'a pas de code de conduite concernant ses relations avec les fabriques auxquelles elle sous-traite sa production, et en général manque de transparence au sujet de sa politique d'approvisionnement. La société a également refusé de dialoguer avec Clean Clothes au sujet de sa responsabilité sociale."

En janvier 2011 c'est Change.org qui se fâche.
Le 15 décembre 2010, 28 travailleurs ont péri dans l'incendie d'un atelier à Narsinghapur, au Bengladesh. Ils étaient payés 24 dollars par mois. Le salaire minimum légal du Bengladesh est de 42$ par mois.

Ils fabriquaient des vêtements pour Abercrombie, Gap, JC Penney, Target, Wrangler, Calvin Klein, Tommy Hilfiger. Les suspects habituels.

Cinq de ces sept compagnies ont accepté de travailler avec un consortium d'associations de défense des droits des travailleurs pour indemniser les victimes et exiger de leurs fournisseurs de meilleures conditions de sécurité.

Abercrombie et Target ont répondu qu'ils examineraient des options de compensation, et ont suggéré des programmes de formation des travailleurs à la sécurité. Quand on voit l'état des bâtiments, suggérer que la sécurité est la responsabilité des employés, c'est toujours la vieille technique : blame the poor for hunger.

L'association a publié un article fort énervé intitulé "Abercrombie and Target ignore more than 65000 Change.org members." Apparemment en vain.
Depuis JC Penney a abandonné le programme. Après une nouvelle pétition de plus de 100.000 signatures, la firme a accepté en octobre 2011 de signer des engagements. L'histoire n'est pas terminée...

All American, indeed... Notons que les Européens ne font pas mieux, il y a seulement encore moins d'organisations pour les dénoncer. L'association Ethique sur l'étiquette est l'émanation française de Clean Clothes. Elle a traduit en français un rapport de cette organisation sur la grande distribution, dont Carrefour et Lidl : http://www.ethique-sur-etiquette.org/IMG/pdf/1-2_Rapport_Cash.pdf

MISE A JOUR 24 JUILLET 2013 : Employés et ex-employés de Abercrombie Paris, c'est le moment de témoigner : http://obsession.nouvelobs.com/mode/20130724.OBS0849/le-defenseur-des-droits-va-enqueter-sur-abercrombie.html

MISE A JOUR 9 FEVRIER 2014 : Mike Jeffries menacé de licenciement par son conseil d'administration : http://nymag.com/thecut/2014/02/why-abercrombie-is-losing-its-shirt.html

Sources :
Naomi Klein : No Logo, new edition Picador 2010, édition française Babel 2002
http://www.greenamerica.org/programs/responsibleshopper/company.cfm?id=178
http://www.la-vie-en-mode.fr/evenement/abercrombie-fitch-magasin-paris/
http://www.salon.com/life/feature/2006/01/24/jeffries/index.html
http://retailindustry.about.com/od/frontlinemanagement/a/AbercrombieFitchMikeJeffriesquotes.htm
http://www.puretrend.com/marque/abercrombie-fitch_b4294959752/communication_i3/1
http://jezebel.com/5208199/finally-teens-dont-like-or-want-to-be%E2%80%94girls-who-wear-abercrombie--fitch
http://www.zimbio.com/Abercrombie+and+Fitch+Clothing/articles/19/Abercrombie+Fitch+Clothings+Brand+Marketing
http://laborrights.org/creating-a-sweatfree-world/sweatshops/resources/12211
http://www.cleanclothes.org/newslist/617-saipan-sweatshop-lawsuit-ends-with-important-ga
http://www.cleanclothes.org/urgent-actions/us-brands-on-the-spot-over-factory-closure-in-cambodia
http://news.change.org/stories/abercrombie-and-target-ignore-more-than-65000-changeorg-members
http://www.thedailystar.net/newDesign/news-details.php?nid=166145
http://www.change.org/petitions/jc-penney-dont-break-your-promise-to-families-of-workers-who-died-making-your-clothes

vendredi 14 octobre 2011

Bonne nouvelle pour les blogueurs français

Bravo à M. Bardet, qui après avoir été condamné en première instance et en appel, s'est obstiné jusqu'à voir la Cour de Cassation lui donner raison, et juger que les abus de la liberté d'expression ne peuvent être réprimés que par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette règle s'applique à tout moyen de communication au public par voie électronique, même si l'auteur est anonyme.

Reste à étudier la loi sur la liberté de la presse, avant de dire complètement n'importe quoi...

L'histoire :

Les faits remontent à la dernière campagne pour les élections municipales. Un internaute s'amusait alors à tourner en dérision la politique de Serge Grouard, maire (UMP) d'Orléans et député du Loiret, sur un blog baptisé"Les amis de Serge Grouard". Le site en question était anonyme et n'indiquait pas l'identité de son auteur. L'élu local n'a pas vraiment goûté cet humour. À son initiative, une expertise a été menée pour découvrir quelle personne se cachait derrière ce blog. L'enquête a permis de remonter jusqu'à Antoine Bardet, qui figurait sur une liste électorale de gauche aux municipales.

Le maire lui a demandé réparation en justice.

Une procédure au civil

Serge Grouard demandait des dommages et intérêts, la fermeture du blog litigieux et la publication de la décision sur le blog sur le fondement de l'article 1382 du code civil, base de la responsabilité civile, qui dispose que "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer".

Il a obtenu gain de cause à deux reprises. En octobre 2008, l'internaute plaisantin a été condamné à lui verser 7 400 euros en guise de réparation du préjudice subi. En mars 2010, la cour d'appel d'Orléans a tranché dans le même sens, estimant que les écrits cherchaient effectivement à discréditer M. Grouard auprès de ses électeurs.

Mais la Cour de cassation n'a pas rejoint ces avis.

Une situation relevant de la liberté de la presse

Elle considère qu'il y a eu erreur sur le texte appliqué. Selon elle, la disposition pertinente en la matière n'était pas l'article 1382 du code civil. En effet, l'arrêt rappelle que "les abus de la liberté d'expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881" sur la liberté de la presse, qui met en place un régime procédural particulier, dérogeant au droit commun.

Cette jurisprudence, qui n'est pas nouvelle, se fonde sur une loi de 2004(2) qui étend les dispositions de la loi sur la liberté de la presse à "tout moyen de communication au public par voie électronique" ce qui inclut bien sûr les blogs.

La cour d'appel avait refusé de faire bénéficier le blogueur des avantages de cette loi car, selon elle, s'il y avait bien volonté de discréditer le maire, il n'y avait pour autant ni injure ni diffamation, qui sont les infractions règlementées par ladite loi. Elle considérait également que M. Bardet ne pouvait pas invoquer les avantages de la loi sur la liberté de la presse sans se plier à ses devoirs, qui sont de s'indentifier formellement aux yeux du public.

La Cour de cassation, et c'est l'apport en droit de cette décision, considère qu'à partir du moment où il y a abus de la liberté d'expression sur un blog, c'est la loi du 29 juillet 1881 qui doit être appliquée, que l'auteur soit identifiable immédiatement sur sa publication ou non, que l'injure et la diffamation soient caractérisées ou non.



Pour les plaideurs, voici l'arrêt (lapidaire) de la Cour.



Arrêt n° 904 du 6 octobre 2011 (10-18.142) - Cour de cassation - Première chambre civile

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/904_6_21187.html


Cassation sans renvoi


Demandeur(s) : M. Antoine X...
Défendeur(s) M. Serge Y...

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que reprochant à M. X... d’être l’auteur d’un blog le dénigrant, M. Y..., agissant tant en son nom propre qu’en ses qualités de maire d’O... et de député du L..., l’a assigné en référé, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, en paiement de dommages intérêts, fermeture du blog litigieux et publication de la décision ; que l’arrêt attaqué a accueilli cette demande ;
Attendu que pour rejeter le moyen de défense de M. X... tendant à l’application aux faits litigieux des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, l’arrêt attaqué énonce que le contenu du blog de M. X..., qui a agi de façon anonyme et sous une présentation trompeuse, cherche effectivement à discréditer M. Y... auprès des électeurs, mais que cette entreprise ne repose que sur une présentation générale le tournant en ridicule à travers le prisme caricatural d’une vision orientée et partiale de sa politique locale ou de sa personnalité sans imputer spécialement au maire, ou au candidat, de faits précis de nature à porter, par eux-mêmes, atteinte à son honneur ou à sa considération ;
Qu’en statuant ainsi alors que dans son assignation M. Y... reprochait à M. X... de l’avoir dénigré dans des termes de nature à lui causer un préjudice et que les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que conformément à l’article 411 3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 22 mars 2010, entre les parties, par la cour d’appel d’ Orléans ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Déclare l’action prescrite

Président : M. Charruault
Rapporteur : Mme Crédeville, conseiller
Avocat général : M. Domingo
Avocat(s) : Me Spinosi ; SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard


lundi 5 septembre 2011

Esperluette


Je n'avais jamais malgré mon grand âge vu ni entendu ce mot, et si je l'avais fait j'aurais pensé qu'il s'agissait d'une espèce très sophistiquée d'arbalète mérovingienne. Or que nenni il n'en est rien. Il s'agit d'une lettre de l'alphabet. Ca vous en bouche un coin, sauf si vous le savez déjà dans ce cas vous êtes plus cultivé(e) que moi félicitations.

Car en effet l'esperluette fut longtemps la 27ème lettre de l'alphabet. Parait-il que jusqu'à la fin du XIXème siècle les enfants récitaient ...x, y , z et &. (On va y revenir.)
Mais oui c'est lui ! Ou plutôt elle, l'esperluette, ou esperluète, ou perluette, ou perluète, mais c'est moins rigolo.

C'est un caractère formé par les deux lettres de l'alphabet latin cursif e et t, collées l'une à l'autre et abrégées. Apparu au 1er siècle avant JC, & ne signifiait pas forcément et, conjonction de coordination, mais n'importe quelle association de ces deux l&tres, même dans un autre mot. Plus tard, les typographes, ces artistes, ou ces feignants, suivant les points de vue, utilisaient encore & à l'intérieur des mots, et surtout les anglo-saxons d'ailleurs, lorsqu'ils composaient en latin, obviously.

De nos jours, & signifie exclusivement le mot "et" en français, et "and" en anglais. Considéré comme peu romantique ("ils vécurent heureux & eurent beaucoup d'enfants" ça le fait pas trop) il est cantonné au vocabulaire commercial, aux raisons sociales (Smith & Wesson, Dolce & Gabbana, Roux & Combaluzier) ou éventuellement dans &c. pour et caetera.

Encore que dans l'époque moderne où nous vivons, il a fait un petit retour dans le sms staïle, en anglais, par exemple pl& pour planned, st& pour stand...

Mais revenons aux enfants des écoles que nous avons laissés au paragraphe 2 : que disaient-ils au juste, en récitant l'alphabet ? Il disaient "x, y, z, et per se, et". Rappelons que & étant et en latin, il se prononce ette. C'est à dire "et en soi, et", toujours en latin. Vous me suivez ? De là serait venue l'esperluette. Encore que je pencherais plutôt pour "et c'est pour le et" qui ressemble plus à esperluette phonétiquement. Mais en tous cas c'est charmant.

Encore plus fort, c'est pareil en anglais : & se dit ampersand, qui vient de "and per se : and". Et non pas de Ampere's and, comme le rapporte l'étymologie populaire, M. Ampère n'ayant rien à voir là-dedans.

& est une mascotte pour les typographes, bien sûr. Il existe une conférence internationale de typographie pour le web qui s'appelle Ampersand. En Belgique, une maison d'édition s'appelle Esperluète.

Les jeux vidéos adoptaient volontiers des titres avec &, dont le plus célèbre est Dungeons & Dragons, D&D pour les initiés.
Un autre usage fort répandu est B&B, pour Bed and breakfast, irremplaçable invention anglaise.
Je ne vous parlerai pas des usages de & en programmation, ça me fait mal à la t&e...


Sources : 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Esperluette
http://awritersguide.blogspot.com/2011/01/word-origins-ampersand.html

dimanche 14 août 2011

Trésors de la chanson française : B Initials






Une nuit que j'étais
A me morfondre
Dans quelque pub anglais
Du coeur de Londres








Parcourant l'Amour Mon-
Stre de Pauwels
Me vint une vision
Dans l'eau de Seltz










B Initials
B Initals
B Initials
B.B.








Tandis que des médailles
D'impérator
Font briller à sa taille
 

Le bronze et l'or















Le platine lui grave
D'un cercle froid
La marque des esclaves
A chaque doigt





B Initials
B Initals
B Initials
B.B.

Jusques en haut des cuisses
Elle est bottée
Et c'est comme un calice
A sa beauté





Elle ne porte rien

D'autre qu'un peu
D'essence de Guerlain
Dans les cheveux






B Initials
B Initals
B Initials
B.B.







A chaque mouvement
On entendait
Les clochettes d'argent
De ses poignets







Agitant ses grelots
Elle avança
Et prononça ce mot :
Almería !