jeudi 25 novembre 2010

Eloge du pavé

Vous lisez un roman (du moins j'espère). Vous tournez les pages. Insensiblement votre attention s'égare. Est-ce bien de la blanquette que m'a vendue ce boucher qui avait l'air d'un faux jeton ? Et ai-je commencé à rembourser le capital de mon crédit immobilier ? Je dois avoir un plan d'amortissement quelque part...
La fin du chapitre vous ramène au texte.  Rien dans les pages auxquelles vous n'avez pas prêté la moindre attention n'est indispensable à la compréhension de la suite, et vous continuez paisiblement votre lecture. Vous finirez ce livre, vous le qualifierez de "pas mal".

Parfois c'est pire, ce qui vous distrait de votre lecture n'est pas une préoccupation oiseuse mais la sensation que ce livre est... comment le dire autrement ? Un peu chiant... Vous êtes à la page 80. Il en reste 130. Heureusement ce n'est pas un gros pavé, voyons si ça s'arrange un peu plus loin. Vous finirez aussi ce livre. Il sera qualifié de "pas terrible".

Il y a les livres qui sont "vraiment bien". Ceux dont on n'interrompt la lecture que la mort dans l'âme : Houla 2H15, il faut que je dorme ! Une promenade dans la forêt ? Mmm.. partez devant, je vous rejoins... Et Mademoiselle, c'est le terminus ici, il faut descendre !
Un jour que j'étais invitée à passer quelques jours chez des gens très chics (et très polis, heureusement) j'ai prétexté un malaise en arrivant pour aller m'allonger dans la chambre d'amis et finir le roman policier que j'avais commencé dans le train !

Et puis il y a une autre classe de livres. Les seigneurs livres, comme on dit en espagnol.
Ceux qui sont non seulement très beaux, mais en plus très gros. On s'en aperçoit tout de suite, au bout de trois pages. Ce n'est pas l'ennui qui vous pousse alors à regarder le nombre de pages, mais la jubilation : 750 pages ! Yesss !
Ca y est vous êtes arrivé, installé pour plusieurs semaines dans un ailleurs meilleur.
Il est temps de déguster, et de prendre son temps. Il y a des chefs d'oeuvre dont chaque phrase est un chef d'oeuvre, chaque paragraphe, chaque chapitre. Cette beauté comme qui dirait fractale donne une impression d'éternité. N'ayant aucune intention d'atteindre la fin, on n'est plus pressé du tout.

Prenez Hilary Mantel. Cette femme est incroyable. C'est peu dire qu'elle n'avait rien pour elle. Née au fin fond du Derbyshire, diplômée en droit, employée dans un hôpital gériatrique, victime de plus d'une maladie débilitante qui la rend moche à faire peur et à moitié cinglée, pourquoi, comment a-t-elle commencé à écrire à l'âge de 22 ans un roman historique sur la révolution française ?
J'en suis baba.
Disons que ce sont les aventures de Danton, Robespierre et Camille Desmoulins, depuis leur naissance jusqu'au seuil de leur mort. Mes connaissances historiques ne me permettent pas de savoir si les détails, ou même les grandes lignes, sont véridiques, et d'ailleurs je m'en fous.
Je lis, et je m'arrête parce que c'est beau. Je relis et relis. J'essaie de traduire en français, en vain évidemment.
La visite de Louis XVI à Louis-le-Grand. Deux pages. Une histoire qui se tient toute seule, parfaite.
Le portrait de Charlotte Corday. Un paragraphe qui ne ressemble à rien de ce qu'on pourrait imaginer.
872, huit cent soixante douze ! pages de bonheur. Aaaah....
Il n'est pas encore traduit à ma connaissance, mais ça ne saurait tarder.

Hilary Mantel est devenue un "best-selling author" parce qu'elle a obtenu le Booker Prize pour Wolf Hall, tout aussi excellent roman qui raconte une partie de la vie de Cromwell, ce qui intéresse plus les Anglais, on suppose. Ce n'est pas pour cela que ses romans, à part Wolf Hall, sont faciles à trouver (voir article précédent : Extinction massive aux Etats-Unis).

Ces longs plaisirs sont rares, et ne sont pas les mêmes pour tout le monde, question de goûts, sinon ce serait trop simple. En général, ce sont des romans, mais pas forcément, je me souviens d'un recueil de correspondance entre Evelyn Waugh et Nancy Mitford, et d'un traité de génétique des populations, mais bon, chacun son truc...


Si l'expérience vous tente ou vous manque, je me hasarderai néanmoins à proposer une sélection.


Je ne vais pas citer La recherche, soyons honnêtes, il y a des passages et même des volumes entiers qui sont d'un ennui profond. Mais les deux volumes de Sodome et Gomorrhe, oui. Je ne les ai pas sous la main. Ca doit faire 800 pages les deux volumes.



La vedette : Belle du Seigneur, 1968, 1110 pages dans l'édition Folio.



Qui n'a pas lu Le Maître et Marguerite ? Un délire total, diables, sorcières, asiles de fous et Ponce Pilate en guest star, écrit dans les années 30, abondamment censuré, publié seulement en 1973.
577 pages dans cette édition Pocket.

Le bûcher des vanités, 1987, 917 pages dans l'édition du Livre de Poche.





Byatt : Possession, 1990. Erudit, étincelant, littéraire en un mot.
Snobement je ne possède pas d'édition en français.
Plus de 500 pages.


Vikram Seth : Un garçon convenable. La Recherche du temps perdu du XXIème siècle.
1121 pages dans cette édition. 1800 pages en deux volumes dans le Livre de
Poche. Olé !

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