samedi 16 juillet 2011

Un si long voyage

Les plus vieux d'entre vous se souviennent de l'enthousiasme de Carl Sagan lorsqu'il fut chargé de concevoir le message de la planète Terre à destination de l'espace.
Les sondes Voyager I et II furent lancées en 1977, à la suite de Pioneer 10 et 11 qui servaient de précurseurs.
C'est à bord des Pioneer que se trouvait la fameuse image des humains à loilpé saluant amicalement de la main. Les Etazuniens, fidèles à eux-même, se plaignirent tellement à la NASA de l'"obscénité" de cette image qu'elle fut supprimée du Voyager Golden Record. Pourquoi ne pas représenter les humains habillés, comme on les voit habituellement ? C'est une chose que je me suis toujours demandée.

Contrairement au message de Pioneer qui était une simple image gravée sur une plaque, le Golden Record est, comme son nom l'indique, un disque. Un micro-sillons, puisque nous sommes en 1977, remember ? Mais un vidéo-disque, quand même. Sur le couvercle du disque sont gravées des données censées permettre à n'importe quel extra-terrestre un peu dégourdi de le lire.
En admettant que ce soit le cas, notre ami E.T. pourra découvrir des images de la terre et des humains, des salutations en 45 langues, des extraits de musiques des cinq continents parmi lesquels Mozart, Beethoven, Bach, Stravinsky, Louis Armstrong et... Chuck Berry. L'année 1977 fait que les deux seuls bipèdes autorisés à faire un discours à l'univers sont Jimmy Carter et ce vieux facho de Kurt Waldheim, qui était secrétaire général des Nations Unies. On a les messages qu'on mérite, finalement.

Pour en savoir plus, Sagan et ses collaborateurs ont publié en 1978 un livre intitulé Murmurs of Earth : the Voyager Interstellar Record, réédité en 1992 avec un CD réplique du Golden Record.

Et alors, me direz-vous, que sont devenus tous ces charmants colifichets, et pourquoi en faire un fromage, presque 35 ans plus tard ? Parce qu'ils vont très bien, justement, et que l'on sait exactement où ils se trouvent.
En effet le programme Voyager a réfuté de façon éclatante la loi de Murphy, qui est pourtant une invention d'ingénieurs : il est allé beaucoup mieux et beaucoup plus loin que ce que ses concepteurs avaient pu imaginer.

Dans les années 60 les chercheurs du Jet Propulsion Laboratory de Pasadena se demandaient comment rendre visite aux planètes les plus éloignées du système solaire, qui sont très loin et très peu ensoleillées.
Ils eurent deux idées brillantes : d'abord remplacer les panneaux solaires, qui auraient été plutôt mous du genou à cette distance du soleil, par des générateurs thermoélectriques à radioisotope. Ces générateurs contiennent du plutonium 238 dont la décroissance radio-active produit de la chaleur qui est transformée en électricité pour alimenter les divers appareils, notamment les ordinateurs !

Chaque sonde embarque six ordinateurs et leur capacité totale est de 512KB, how sweet.


Visez un peu le look de l'ordinateur de 1977 et ensuite imaginez (ou lisez plus bas) ce qu'il a fait. Ce sont peut-être les kilobits les mieux employés de l'histoire de l'humanité...

La deuxième idée brillante est l'assistance gravitationnelle, qui consiste à emprunter l'orbite des planètes pour accélérer les sondes, un peu comme Tarzan se ballade de liane en liane, si vous me permettez cette image simpliste.
C'est Jupiter, dont la force gravitationnelle est énorme, qui doit servir de lance-pierre pour propulser les sondes to the outer space.

Gary Flando, qui sera peut-être un jour aussi célèbre que Christophe Colomb, élabore une trajectoire qui utilise un alignement exceptionnel de planètes, lequel doit se produire entre 1976 et 1978. Il fallait donc se dépêcher.

Un vaste programme baptisé Outer Planets Grand Tour Project est mis sur pied en 1969 et son budget est estimé à 700 millions de dollars. Aussitôt les plans terminés, arrivent le premier choc pétrolier et la récession économique. On demande au JPL de calmer ses ardeurs et de faire ce qu'il peut avec 250 millions. L'espérance de vie des sondes est ramenée de 10 ans à 4 ans !


Pourtant les chercheurs et ingénieurs du JPL conçoivent et construisent entre 1972 et 1977 deux sondes presque aussi ambitieuses que celles du programme de départ, et surtout très costauds, puisqu'elles voyagent encore. Voyager 2 fut lancée le 20 août 1977 et sa copine Voyager 1 le 5 septembre. Leur trajectoire est d'une précision invraisemblable : la variation maximum est de 20 kilomètres par rapport à la trajectoire calculée, alors que la marge d'erreur prévue était de 200 kilomètres...

Mais bref, un aussi long voyage et nous ne sommes pas encore partis :
so let's go !

Voyager 1 arrive à proximité de Jupiter en mars 79, Voyager 2 en juillet de la même année. C'est à elles que l'on doit les fameuses photos en couleurs réelles de Jupiter.

Jupiter est 1320 fois plus grosse que la terre mais quatre fois moins dense. Son atmosphère extérieure est principalement composée d'hydrogène. En se rapprochant du centre de la planète, sous l'effet de la chaleur et de la pression, le gaz se transforme en hydrogène liquide, puis en hydrogène "métallique", lorsque les atomes d'hydrogène s'ionisent et forment un matériau conducteur. Les avis sont partagés sur le point de savoir s'il existe ou non un noyau dur.

Dans l'ensemble, les conditions ne sont pas top pour passer des vacances.


Mais ce sont surtout les satellites de Jupiter qui révèlent leurs secrets. Les sondes Voyager ont photographié de (relativement) près les quatre plus grands satellites naturels de Jupiter.


Io et Europe sont d'une taille similaire à celle de la lune. Sur Io, l'activité volcanique est intense. Les volcans crachent à plus de 300 km de hauteur des panaches de composés du soufre. Les jolies couleurs rouge, jaune, vert viennent du soufre et du dioxyde de soufre, ce qui n'est pas non plus idéal pour faire du camping.

Le cratère de Valhalla sur Callisto
Ganymède, un peu plus gros que Mercure, est tout gelé. Europe et Callisto aussi sont gelées, mais on pense que des océans se trouvent à une centaine de kilomètres sous la surface.

De plus, l'atmosphère de Callisto contiendrait du dioxyde de carbone et de l'oxygène, ce qui nous rappelle la maison.
Ainsi, bien que la température ne dépasse pas -150°, Wikipédia déclare sobrement que "Callisto a pendant longtemps été considérée comme le corps le plus adapté à l'installation d'une base humaine pour l'exploration du système jovien". Ce qui laisserait penser qu'elle ne l'est plus, considérée, mais enfin en cas d'Armageddon ça reste la destination à privilégier à mon avis.

De Jupiter à Saturne ce n'est qu'un saut de puce de 22 mois : Voyager 1 s'en approche le 10 novembre 1980 et Voyager 2 le 26 août 1981.

Saturne, la plus belle. 760 fois plus grosse que la terre, sa structure à base d'hydrogène serait comparable à celle de Jupiter. On y voit des nuages d'altitude composés de cristaux d'ammoniac.
Ses anneaux sont composés de glace et de poussière.

On lui a aussi trouvé une soixantaine de satellites, ce qui demande une connaissance approfondie de la mythologie grecque.
La plupart ne sont que des gros morceaux de caillou gelés, comme Hypérion, Janus, Prométhée, Lapetus, Mimas, Thétys, Encelade, Dioné, et même Hélène, divinisée pour l'occasion.

On n'y a trouvé aucun perroquet sonnant l'alarme.*


Mais c'est surtout Titan, le plus gros satellite de Saturne, qui excitait les astronomes. L'un des rares corps célestes à posséder une atmosphère, certes à base de méthane, et un effet de serre, on y trouve des saisons, du vent, et des pluies de méthane. Titan a donc l'avantage d'avoir un climat, mais malheureusement ce dernier est mauvais. Voyager 1 s'approcha à moins de 7000 kilomètres de Titan, pour constater qu'un épais brouillard empêchait de voir la surface. En plus la température ne dépasse pas -180°C, ce qui est un peu frisquet. Malgré tout, les observations ultérieures de la sonde Cassini et du télescope Hubble ont permis de détecter la présence d'hydrocarbures et autres composés organiques complexes qui en font un environnement dit prébiotique.

A la sortie du système de Saturne, si j'ose dire, les deux sondes se séparent amicalement. Voyager 2 utilise l'assistance gravitationnelle de Saturne pour gagner Uranus, tandis que Voyager 1 se dirige directement vers la sortie, du système solaire cette fois.

Uranus est aussi une géante gazeuse, au diamètre de 51300 km. Voyager 2 est la première sonde à la survoler en janvier 1986, et photographie ses anneaux, qui sont fins et peu lumineux, ce qui les rend invisibles sur des photos aux couleurs naturelles.

A vrai dire Uranus n'est pas très photogénique. Le méthane dans l'atmosphère lui donne sa couleur bleuâtre.


Miranda
Voyager a découvert 10 nouveaux satellites d'Uranus, en plus des cinq déjà connus.  Les plus importants sont Titania, Obéron, Ariel, Umbriel et Miranda, les astronomes (Herschel, en l'occurrence) ayant laissé tomber la mythologie pour attaquer les oeuvres de Shakespeare.

En réalité, Voyager 2 a découvert 11 satellites, le onzième, Perdita la bien nommée, n'ayant été identifiée qu'en 1996, en regardant mieux les photos envoyées par la sonde !

Miranda, à la surface curieusement escarpée, fut la plus photographiée par Voyager 2.

Mais Voyager 2 n'a pas dit son dernier mot. Elle se dirige vaillamment vers Neptune. A ce stade les ondes radio commencent à faiblir. Pendant les trois années que dure le voyage entre Uranus et Neptune, les responsables du projet s'occupent d'agrandir les antennes existantes, et d'obtenir le concours du Very Large Array au Nouveau Mexique.

Le 25 août 1989 Voyager 2 est le premier et jusqu'à présent le seul engin à survoler Neptune, à une distance de 29000 km. Elle analyse l'atmosphère, y découvre des nuages et des vents qui soufflent à 2000 km/heure.

Neptune est aussi bleue que Jupiter est rouge. Et même plus. A vrai dire, l'origine de cette couleur bleue, plus soutenue que celle du méthane, reste inconnue. Elle a comme Jupiter une grosse tache, sauf que celle de Neptune a disparu depuis. Il s'agit d'une grosse tempête, de la taille de la Terre.

Voyager a confirmé l'existence de cinq anneaux peu visibles et découvert dix nouvelles lunes de petite taille, qui porte des noms de divinités marines, comme il sied à Neptune.

Distante de la Terre de 4521,58 millions de km, Neptune est la seule planète du système solaire qui n'est jamais visible à l'oeil nu. Malgré cette distance qu'un Argentin n'hésiterait pas à qualifier de phénoménale, la sonde Voyager 2 répondait toujours parfaitement aux commandes depuis la terre.

Une trajectoire fut choisie pour permettre à la sonde d'utiliser l'assistance gravitationnelle de Neptune afin de se rapprocher de son principal satellite, Triton.

Triton est de loin le plus gros des 13 satellites naturels de la planète Neptune, et le 7ème par distance croissante à cette dernière. C'est le seul gros satellite connu du système solaire orbitant dans le sens rétrograde, c'est-à-dire inverse au sens de rotation de sa planète. Cette caractéristique orbitale exclut que Triton ait pu se former initialement autour de Neptune, et sa composition similaire à celle de Pluton suggère qu'il s'agirait en réalité d'un objet issu de la ceinture de Kuiper capturé par Neptune.

Voyager 2 a observé en détails 40% de la surface de Triton, révélant des traces d'activité volcanique relativement récente, et de geysers, le tout super-glacé puisque la température est de -235°.

Ayant quitté Triton en pleine forme, Voyager 2 entame à la suite de Voyager 1 ce que les astronomes appellent avec optimisme la mission interstellaire.
So what's next ?
Le choc terminal.
Tatzan !
Oui ça s'appelle vraiment comme ça.  C'est très simple. Le soleil darde ses rayons et jette autour de lui des quantités de particules. Cette projection forme une sorte de souffle dit vent solaire qui repousse jusqu'à une certaine distance les particules venues du reste de l'univers.

Cette zone d'influence du soleil, pour ainsi dire, s'appelle l'héliosphère.

Le choc terminal est le point de l'héliosphère où la vitesse du vent solaire diminue en deçà de la vitesse du son (par rapport à l'étoile et dans le milieu interstellaire) à cause de l'interaction avec le milieu interstellaire. Ceci entraîne une compression, un réchauffement et un changement dans le champ magnétique.
Pour le système solaire, le choc terminal est évalué à une distance de 75 à 90 unités astronomiques du Soleil.
Respectivement en 2004 et 2007, Voyager 1 et 2 ont passé le choc terminal. En fait, elles auraient passé plusieurs fois le choc terminal puisque les frontières de ce dernier varient selon l'activité solaire.
Mais revenons à l'héliosphère. Elle est de forme allongée parce que le soleil se déplace.


Or, par un coup de bol absolu (et c'est là que la loi de Murphy a fait défaut, son influence diminuant peut-être avec la distance) les sondes Voyager sont parties dans la direction du "nez" de l'héliosphère, du côté où la distance avec la limite de l'héliosphère, dite héliopause, est la plus courte, ou plutôt la moins longue. Ceci n'était pas volontaire, puisqu'à l'époque où les trajectoires ont été calculées, on ignorait la forme et la direction de l'héliosphère.

Aujourd'hui les indomptables petites sondes (garanties quatre ans !) voyagent à la vitesse de 17 km/seconde dans l'héliogaine, heliosheath sur l'image, zone ou les particules solaires rencontrent les particules from outer space et les champs magnétiques se mettent à danser la java, presque littéralement.

Les sondes ne prennent plus de photos mais continuent de transmettre des données. Le 7 mars 2011, Voyager 1 a effectué une manoeuvre, la première depuis 21 ans, pour pouvoir mieux transmettre ses données vers la terre. Ce sont plutôt les terriens qui ont du mal à les interpréter. Les dernières nouvelles datent de juin 2011 et ont parcouru plus de 14 milliards de kilomètres. Elles évoquent des grosses bulles magnétiques de 160 millions de km de largeur, entièrement détachées du champ magnétique solaire. A ce stade, non seulement mes sherpas refusent de me suivre mais je renonce à décrire la situation, pour laisser la parole à la NASA, dans cette vidéo brillante qui pourrait s'appeler : les confins du système solaire pour les nuls.



Et après ? Une fois franchi le bouclier magnétique du soleil, c'est rumbo al infinito, comme disait Mafalda.
La NASA espère obtenir des informations sur la nature du plasma interstellaire, hors de l'influence du soleil.

Le prochain point d'intérêt dans le panorama devrait être AC + 79 3888, étoile mineure de la constellation de la girafe,
dans 40.000 ans...

Bon voyage, Voyager !


Sources
Wikipédia
http://news.discovery.com/tech/top-5-explorer-spacecrafts.html
http://science.nasa.gov/science-news/science-at-nasa/2011/09jun_bigsurprise/
http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/06/09/des-bulles-magnetiques-aux-confins-du-systeme-solaire_1534279_3244.html

* "Sur une lune de Saturne un perroquet sonne l'alarme". Pardon pour cette allusion cryptique. Ce n'est peut-être pas par hasard que la chanson de Capdevielle date aussi de 1980.

2 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cet article des plus intéressants, riche et complet ! Tout cela présenté de manière simple et compréhensible par tous, non sans une agréable pointe d'humour.
    Encore un grand merci pour cette part de science et de rêve !

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  2. Merci beaucoup pour ces compliments choisis qui me vont droit au coeur !

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