mercredi 3 juin 2009

La grippe éditoriale

Un nouveau péril menace l'esprit humain, le hyper-seller.
Vous connaissez l'hyper-puissance et notre hyper-président ? Meet the hyper-seller.
A coté de lui les best-sellers d'antan font figure de feuilles de chou publiées à compte d'auteur.

Le malaise m'envahit pour la première fois en lisant je ne sais quel canard portugais en 2005.
Ce canard publiait les listes de best sellers dans différentes villes du monde. On pouvait lire :
Lisbonne : N°1 Dan Brown, o codigo Da Vinci
Paris : N° 1 Dan Brown, Da Vinci Code
Madrid : N° 1 Dan Brown, El Codigo Da Vinci
New York : N° 1 Dan Brown, Da Vinci Code
Rio de Janeiro : N°1 Dan Brown, o codigo Da Vinci

Angoissant.


Je ne veux même pas rentrer dans le débat sur la valeur de l'ouvrage.
Je veux parler du phénomène éditorial.
Le dit Da Vinci Code a été vendu à 60 millions d'exemplaires dans le monde entre 2003 et 2006.
Il est traduit dans 44 langues.
En comptant les trois années suivantes, les séquelles et "préquelles", adjugeons à 200 millions.

And then came Harry Potter.

Les derniers chiffres d'édition annoncent 400 millions d'exemplaires pour toute la série.
Ce qui le place juste derrière la bible (de 3 à 6 milliards d'exemplaires vendus toutes éditions confondues depuis 1455), le petit livre rouge de Mao (entre 800 millions et 5 milliards suivant les sources, en 50 langues depuis 1964) et le coran (800 millions).
Le New York Times a dû ouvrir une nouvelle catégorie "livres pour la jeunesse" pour y mettre les Harry Potter et faire de la place pour les autres dans sa très fameuse Best Seller's List.
« Harry Potter et les Reliques de la Mort » a été vendu en France à 1 089 700 exemplaires entre le 26 octobre 2007 date de sa sortie et le 31 décembre 2007.

En réalité j'ai un faible pour J.K. Rowling, qui est restée simple et sympa même si le petit milliard de dollars que lui ont rapporté ses livres lui ont visiblement permis de s'offrir une coiffeuse, une maquilleuse, une manucure et des habits qui brillent. Elle s'adonne aussi sérieusement à la philanthropie en arrosant de millions de livres (I mean british pounds, not Potter books) des associations d'aide à l'enfance en détresse ainsi que le parti travailliste anglais...

Vous n'êtes pas encore remis de Millenium, qui commence sa carrière avec 12 millions d'exemplaires vendus en Europe (après en avoir vendu plus d'un million et demi en Suède, un pays de 9 millions d'habitants) ? Bagatelle.

Stieg Larsson ne jouera pas longtemps dans la cour des grands, d'abord parce qu'il est mort, et ensuite parce qu'il est excessivement mal traduit.

Les traductions ça fait suer tout le monde, à commencer par les Etatsuniens, qui restent les rois du bizness, même si Harry Potter est britannique au départ.

Forget it : le prochain tsunami éditorial s'appelle Twilight.

Il a déjà vendu 40 millions d'exemplaires en deux ans.

Twilight si j'ai bien compris est une série de bluettes pour adolescents où les personnages sont des vampires. Imaginez Olivia Newton-John et John Travolta en train de sucer le sang de leurs petits camarades au lieu de danser en collants roses et de chanter des conneries.

L'adaptation cinématographique du second volume, New Moon, est en train de sortir dans l'hystérie générale des 10-16 ans.
Il y a tellement de blogs uniquement dédiés à Twilight qu'il existe un classement des meilleurs Twilight-blogs dans chaque langue !
Tenez-vous bien : 30% de tous les livres vendus dans le monde au premier trimestre 2009 sont des épisodes de Twilight (je sais, c'est difficile à avaler, ce sont des chiffres publiés par les USA, je doute qu'ils tiennent compte des éditeurs indépendants anarcho-syndicalistes du Tadjikistan, par exemple).

En tous cas à vue de nez sur le web et dans facebook, la moitié des jeux, blogs, chats, fan clubs et autres couillonnades destinées aux adolescents est basée sur Twilight. Et le marketing associé est massif.

Un exemple de critique publiée sur le web, je cite : "Tout L'Univers De Twilight ; Le Guide Non-Officiel De La Saga De Stephenie Meyer : ce livre, je les acheter tous récément , et je les trouvé tous bonemen exélent!il explique l'histoir des vampire , des loup garou tous en les comparena nos personnage preferer "twilight"."

Edifiant.

Questions : faut-il vendre des livres aux illettrés ? Oui, a priori, s'ils les lisent. C'est ce qu'on disait déjà du Da Vinci Code, le livre des gens qui ne lisent jamais. Mais le lisent-ils ou l'achètent-ils seulement ? Le nom de la rose de Umberto Eco a vendu 20 millions d'exemplaires et je veux bien être Ste Thérèse d'Avila si un dixième des acheteurs l'ont lu jusqu'au bout.

Pour les adolescents c'est différent, je veux bien croire qu'ils lisent vraiment les livres qu'ils achètent, en tous cas les Harry Potter. Un point commun entre tous les hyper sellers : la magie, la conspiration, le fantastique ; faut-il élever vos enfants dans l'irrationnel ? A priori encore, personne ne s'est jeté du huitième étage à cheval sur un balai, tout comme embrasser un crapaud pour le transformer en prince n'a jamais tué aucune petite fille, à ma connaissance. Les adolescents vont-ils se mettre à mordre la jugulaire de leurs camarades de classe ? L'avenir le dira.

Jusqu'ici tout va bien.
Mon angoisse est ailleurs.
L'hyper-seller (comme l'hyper-puissance et notre hyper-président) prend toute la place.
Toute la place chez les éditeurs, dans les librairies, dans les campagnes de com, dans la presse, dans le budget livres de la ménagère.

On publie chaque année en France environ 65000 titres différents.
Sur 450 millions d'exemplaires de livres produits annuellement à fin de vente, 25 à 30 %, soit près de 150 millions sont finalement envoyés au pilon.

Moralité : 400 millions de personnes lisent quatre livres.
Quatre personnes lisent les autres 400 millions de livres.

Timeo hominem unius libri, disait Thomas d'Aquin.

Moi je dis, ça craint.


Merci à Xochipilli pour sa lecture attentive.

4 commentaires:

  1. "l'adaptation cinématographique du premier volume [de Twilight] est en train de sortir". Tu veux parler du deuxième volume? Le premier est sorti en janvier 2009 et a fait à peu près 3 millions d'entrées. Ou est-ce le décalage que je n'ose qualifier d'horaire?

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  2. Oups, je ne me suis pas penchée suffisamment sur le sujet. It's not jetlag, it's pure carelessness... Merci pour la correction !

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  3. Petite correction, J.K ROwling, avec un O pas un A. ;)

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