
"L'ancienne alliance est rompue. L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'univers d'où il a émergé par hasard."
Que du beau monde... et une bonne base de réflexion.
Mais la petite Isabelle a vite pris des chemins de traverse, peut-être à cause de sa fréquentation précoce des mandarins, et quitté ses études de chimie pour s'adonner à la philosophie. Elle est la seule personne que je connaisse qui puisse citer Deleuze de façon à ce que je comprenne quelque chose.
Elle a co-écrit deux livres avec un autre de mes héros l'ethno-psychiatre Tobie Nathan.
Après avoir balayé Dieu d'un revers de manche négligeant, elle a également participé à l'assassinat de Freud : "La damnation de Freud" Ed. Les Empêcheurs de penser en rond, 1997. Le Livre noir de la psychanalyse, Ed. Les Arènes, 2005. (Isabelle je t'aime, kiss kiss).
Officiellement professeur de philosophie et d'histoire des sciences à l'Université Libre de Bruxelles, loin de devenir réac en vieillissant comme bien d'autres intellectuels de gauche que je ne citerai pas j'ai pas la place, elle a l'air de tourner carrément au rouge.
Elle étudie les confins de la science et de la société, les sujets auxquels la doxa, la science officielle, réagit mal, avec rejet ou rigidité : l'hypnose, la sorcellerie, la drogue, l'écologie...
Iconoclaste au sens noble et littéral du terme, elle s'attaque désormais directement au grand totem, le capitalisme.
Derniers ouvrages parus : - avec Philippe Pignarre, La Sorcellerie capitaliste, Paris, La Découverte, 2005.
- La Vierge et le neutrino. Quel avenir pour les sciences ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.
- Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2008.

Laissez moi faire d'abondantes citations, des fois que le lien vienne à se rompre avec la vidéo de Siné Hebdo où l'on voit Isabelle Stengers à 60 ans parler belge en fumant des cigarettes roulées à la main... Vous verrez que le discours d'Isabelle rafraîchit des parties de votre cerveau que les autres philosophes n'atteignent pas.
Résumé du propos en un mot réjouissant : la "récalcitrance" !
"Au cours de ma troisième année de chimie, en 1969, j'ai réalisé que j'avais appris la physique quantique comme un savoir constitué, sans en percevoir les problèmes. Lorsqu'ils se sont posés à moi, j'ai conclu que j'étais perdue pour la science. Depuis, j'ai compris que c'est une réaction typique grâce à laquelle l'ordre règne chez les scientifiques. Un vrai chercheur doit ignorer "les grandes questions" qui peuvent faire douter. Le doute y est à peu près aussi mal vu que chez les staliniens. Ceux qui vont en philiosophie sont un peu des réfugiés politiques.

Je suis très fière et heureuse lorsque mon travail donne des outils aux organisations minoritaires qui fabriquent un savoir récalcitrant. (...) Apprendre de sujets qui fâchent, c'est apprendre aussi pourquoi ils fâchent et qui ils fâchent. (...) Passer pour une provocatrice est une conséquence de mon fonctionnement, mais je me décrirais plutôt comme une récalcitrante. Si j'entrevois la direction pour éviter de penser en rond, ça fait partie de mon métier que d'aller voir par là.
...
Aux Pays-Bas, les associations de junkies, les junkies Bonden, négociaient avec la Mairie d'Amsterdam les conditions de consommation de drogues afin de réduire les risques. La qestion de savoir vivre avec les drogues a plus avancé avec ces gens dont c'est la préoccupation qu'avec toutes les expertises psychologiques, sociologiques qui la noyaient bêtement dans un problème général de mal-être.
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La grande nouveauté de ce que j'ai appelé "l'événement* OGM" réside dans le fait que les opposants ont fait bafouiller les scientifiques experts. Des citoyens ont compris puis montré qu'ils parlaient de ce qu'ils ne connaissaient pas, et même de ce qu'ils voulaient ignorer.
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Le problème des experts, c'est qu'ils savent très bien qui les engage et ce qui sera considéré comme plausible ou irresponsable de ce point de vue. Ils vont d'autant moins ruiner leur réputation qu'il n'y a pas en général de contre-expertise. La question des OGM à Bruxelles relève du fonctionnement du marché, pas de la politique enveronnementale. Ceux qui sont nommés savent qu'il s'agit de minimiser tout obstacle à la libre circulation. Ils jouent donc avec les incertitudes pour rester plausibles.

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Il est dans la nature du capitalisme d'exploiter toutes les opportunités, et la croissance verte en est une ! Il y a fort à parier que ses conséquences seront nettement moins vertes... J'aime bien les objecteurs de croissance, mais la décroissance est une théorie triste. L'impératif de décroissance est mal défendu contre une barbarie moralisatrice techno-policière. Entre cela et la barbarie capitaliste, je demande à ne pas choisir. Comme l'a dit Deleuze : "La gauche, si elle doit être différente de nature de la droite, c'est parce qu'elle a besoin que les gens pensent." Et cela veut dire savoir que la pensée n'est pas réservée à une élite.
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Aujourd'hui, pendant les manifestations, on n'occupe pas les rues sur un mode qui donne l'appétit d'un monde différent. Je n'ai rien contre lancer des pavés, mais c'est une action individualiste. Nos moeurs politiques sont tristes : si l'expérience militante relève du sacrificiel, si la politique n'est pas source de vie, il y a une limite à laquelle on se heurtera et on le paiera chèrement."









*merci à Siné Hebdo pour les deux accents aigüs à événement, NDLR
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