vendredi 14 octobre 2011

Bonne nouvelle pour les blogueurs français

Bravo à M. Bardet, qui après avoir été condamné en première instance et en appel, s'est obstiné jusqu'à voir la Cour de Cassation lui donner raison, et juger que les abus de la liberté d'expression ne peuvent être réprimés que par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette règle s'applique à tout moyen de communication au public par voie électronique, même si l'auteur est anonyme.

Reste à étudier la loi sur la liberté de la presse, avant de dire complètement n'importe quoi...

L'histoire :

Les faits remontent à la dernière campagne pour les élections municipales. Un internaute s'amusait alors à tourner en dérision la politique de Serge Grouard, maire (UMP) d'Orléans et député du Loiret, sur un blog baptisé"Les amis de Serge Grouard". Le site en question était anonyme et n'indiquait pas l'identité de son auteur. L'élu local n'a pas vraiment goûté cet humour. À son initiative, une expertise a été menée pour découvrir quelle personne se cachait derrière ce blog. L'enquête a permis de remonter jusqu'à Antoine Bardet, qui figurait sur une liste électorale de gauche aux municipales.

Le maire lui a demandé réparation en justice.

Une procédure au civil

Serge Grouard demandait des dommages et intérêts, la fermeture du blog litigieux et la publication de la décision sur le blog sur le fondement de l'article 1382 du code civil, base de la responsabilité civile, qui dispose que "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer".

Il a obtenu gain de cause à deux reprises. En octobre 2008, l'internaute plaisantin a été condamné à lui verser 7 400 euros en guise de réparation du préjudice subi. En mars 2010, la cour d'appel d'Orléans a tranché dans le même sens, estimant que les écrits cherchaient effectivement à discréditer M. Grouard auprès de ses électeurs.

Mais la Cour de cassation n'a pas rejoint ces avis.

Une situation relevant de la liberté de la presse

Elle considère qu'il y a eu erreur sur le texte appliqué. Selon elle, la disposition pertinente en la matière n'était pas l'article 1382 du code civil. En effet, l'arrêt rappelle que "les abus de la liberté d'expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881" sur la liberté de la presse, qui met en place un régime procédural particulier, dérogeant au droit commun.

Cette jurisprudence, qui n'est pas nouvelle, se fonde sur une loi de 2004(2) qui étend les dispositions de la loi sur la liberté de la presse à "tout moyen de communication au public par voie électronique" ce qui inclut bien sûr les blogs.

La cour d'appel avait refusé de faire bénéficier le blogueur des avantages de cette loi car, selon elle, s'il y avait bien volonté de discréditer le maire, il n'y avait pour autant ni injure ni diffamation, qui sont les infractions règlementées par ladite loi. Elle considérait également que M. Bardet ne pouvait pas invoquer les avantages de la loi sur la liberté de la presse sans se plier à ses devoirs, qui sont de s'indentifier formellement aux yeux du public.

La Cour de cassation, et c'est l'apport en droit de cette décision, considère qu'à partir du moment où il y a abus de la liberté d'expression sur un blog, c'est la loi du 29 juillet 1881 qui doit être appliquée, que l'auteur soit identifiable immédiatement sur sa publication ou non, que l'injure et la diffamation soient caractérisées ou non.



Pour les plaideurs, voici l'arrêt (lapidaire) de la Cour.



Arrêt n° 904 du 6 octobre 2011 (10-18.142) - Cour de cassation - Première chambre civile

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/904_6_21187.html


Cassation sans renvoi


Demandeur(s) : M. Antoine X...
Défendeur(s) M. Serge Y...

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que reprochant à M. X... d’être l’auteur d’un blog le dénigrant, M. Y..., agissant tant en son nom propre qu’en ses qualités de maire d’O... et de député du L..., l’a assigné en référé, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, en paiement de dommages intérêts, fermeture du blog litigieux et publication de la décision ; que l’arrêt attaqué a accueilli cette demande ;
Attendu que pour rejeter le moyen de défense de M. X... tendant à l’application aux faits litigieux des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, l’arrêt attaqué énonce que le contenu du blog de M. X..., qui a agi de façon anonyme et sous une présentation trompeuse, cherche effectivement à discréditer M. Y... auprès des électeurs, mais que cette entreprise ne repose que sur une présentation générale le tournant en ridicule à travers le prisme caricatural d’une vision orientée et partiale de sa politique locale ou de sa personnalité sans imputer spécialement au maire, ou au candidat, de faits précis de nature à porter, par eux-mêmes, atteinte à son honneur ou à sa considération ;
Qu’en statuant ainsi alors que dans son assignation M. Y... reprochait à M. X... de l’avoir dénigré dans des termes de nature à lui causer un préjudice et que les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que conformément à l’article 411 3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 22 mars 2010, entre les parties, par la cour d’appel d’ Orléans ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Déclare l’action prescrite

Président : M. Charruault
Rapporteur : Mme Crédeville, conseiller
Avocat général : M. Domingo
Avocat(s) : Me Spinosi ; SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard


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