Ce poster archi-célèbre devenu le symbole du féminisme, est connu sous le nom de "Rosie the Riveter". Mais en réalité, cette image n'est pas féministe, n'est pas vraiment non plus une image de propagande pour le recrutement des femmes pendant la guerre, et ne représente pas Rosie la Riveteuse...
L'histoire n'est pas une science exacte, l'histoire populaire encore moins.
Au commencement était une chanson. Après Pearl Harbor, la mobilisation commence aux Etats-Unis et très vite le manque de main d'oeuvre se fait sentir cruellement dans l'industrie, surtout dans la massive industrie de guerre, chantiers navals, aéronautique et fabrication de munitions. On alla trouver les noirs qui étaient balayeurs ou généralement sous-employés pour les envoyer à l'usine, mais ça ne suffisait pas. A partir de 1942, le gouvernement employa alors des agences de publicité pour faire de la propagande à destination des femmes, et les encourager à participer à "l'effort de guerre", comme on disait en ce temps-là.
Parmi ces initiatives, une chanson intitulée "Rosie la Riveteuse", fut écrite en 1942 par Redd Evans et John Jacob Loeb, et produite et distribuée par la Paramount Music Corporation de New York au début de 1943. Les paroles sont des plus édifiantes : Rosie a son fiancé Charlie qui est parti à la guerre, pendant qu'elle rivette toute la journée, "travaillant à la victoire". Il y a une rime quelque peu audacieuse entre "sabotage" et "fuselage". On peut écouter la chanson sous-titrée en anglais dans cette vidéo.
Elle fut diffusée à la radio dans tout le pays, reprise par différents musiciens et le personnage de Rosie devint suffisamment célèbre pour que Norman Rockwell fasse son portrait à la couverture du Saturday Evening Post daté du 29 mai 1943. C'est une femme plutôt costaud, en bleu de travail, prenant sa pause sandwich avec sa fameuse riveteuse sur les genoux. Son prénom est écrit sur sa sacoche et ses pieds reposent sur un exemplaire de "Mein Kampf", le tout sur fond de bannière étoilée.
Ce n'était pas le moment de faire dans la subtilité me direz-vous, pourtant dès sa publication le journal Kansas City Star découvrit que la pose de Rosie était manifestement inspirée de... Michel-Ange dans sa représentation du prophète Isaïe au plafond de la chapelle Sixtine. Regardez la peinture, la ressemblance est frappante autant qu'inattendue. En observant bien Rosie, on voit qu'elle a même une auréole !
L'oeuvre originale de Rockwell a été vendue par Sotheby's à un particulier en 2002 pour 4.959.500 dollars.
Pendant ce temps, une certaine Rose Will Monroe, du Kentucky, prend la route avec ses enfants et se présente à la Willow Run Aircraft Factory à Ipsilanti, dans le Michigan. Elle a choisi cet endroit parce qu'elle a appris que c'est l'une des rares entreprises aéronautiques à former des femmes comme pilotes. Elle rêve de voler, et même si elle n'espère pas devenir pilote de chasse, elle se sent capable de piloter des avions de fret. Son mari n'est pas soldat, il est mort dans un accident de voiture au début de la guerre.
Malheureusement, Willow Run refuse de l'embaucher comme apprentie pilote parce qu'elle est mère célibataire. Pourtant les usines ont à cette époque des garderies pour les enfants (qui seront promptement supprimées après la guerre lorsqu'on demandera aux femmes de rentrer à la maison). A mon avis c'est plutôt parce que l'aviation était un métier fort dangereux à l'époque et qu'on ne voulait pas risquer de faire des orphelins.
En tous cas Rose se retrouve ouvrière à la chaîne, à riveter comme tout le monde, lorsque le fameux acteur Walter Pidgeon visite l'usine pour faire un film promotionnel. Il découvre qu'il y a là une fille mignonnette qui s'appelle vraiment Rosie et qui est vraiment riveteuse ! Il la recrute aussitôt pour tourner dans un film de propagande qui passera dans tous les cinémas du pays pour faire vendre au public des obligations de guerre (war bonds).
Rose Monroe fut célèbre pendant toute la guerre comme l'incarnation de Rosie la Riveteuse au cinéma, mais sa carrière à l'écran s'arrêta là. Elle fut ensuite chauffeur de taxi, esthéticienne, puis développa avec succès Rose Builders, une société de construction de villas de luxe.
Enfin, arrivée à la cinquantaine, Rosie eut les moyens d'apprendre à voler. Elle était toujours la seule femme pilote de son club aéronautique. Elle pilota seule pendant huit ans jusqu'à ce qu'elle perde un rein et la vue de l'oeil gauche dans un accident d'avion en 1978, mais continua à voler accompagnée. Elle est morte en 1997, à l'âge de 77 ans, d'une insuffisance rénale, lointaine conséquence de son accident.
Voila une bien belle histoire mais quel rapport avec le poster ci-dessus qui dit "We can do it" ? Aucun, justement.
Flashback : en 1942, une certaine Geraldine Hoff, qui venait de terminer ses études secondaires à 17 ans, trouva un job à la American Broach & Machine Company de Ann Harbor, Michigan. Son père était mort de la tuberculose, sa mère était compositeur. Comme elle travaillait comme opératrice d'une presse à métal, et qu'elle jouait par ailleurs du violoncelle, elle craignit de laisser quelques doigts dans la presse et démissionna au bout de seulement deux semaines.
Pendant ces deux semaines, un photographe de l'agence de presse UPI dont l'histoire n'a pas retenu le nom passa par là et la prit en photo. Ces photographies faisaient partie de ce que l'on appelle maintenant une banque d'images lorsque l'une d'entre elles fut choisie comme inspiration par le graphiste J. Howard Miller pour une commande de la Westinghouse Electric Company, géant de l'industrie électrique puis nucléaire, très investi à l'époque dans l'effort de guerre. Le but était non pas de recruter du personnel, mais d'améliorer la productivité en décourageant l'absentéisme et la grève. (En passant on avait promis aux femmes des salaires équivalents à ceux des hommes, mais c'était un doux rêve).
Miller peignit une femme en bleu de travail, les cheveux retenus par un bandana rouge, en train de retrousser ses manches pour se mettre au boulot (et non de faire un bras d'honneur comme pourraient penser certains observateurs).
On estime que ce poster fut montré uniquement aux employés de Westinghouse pendant quelques semaines au cours de l'été 1942, puis disparut complètement de la circulation pendant plusieurs décennies. Il ne pouvait donc représenter Rosie puisque cette dernière, toute fictive qu'elle fût, n'était pas encore née !
Geraldine Hoff, quant à elle, n'était absolument pas au courant. Elle se maria peu après avec un M. Doyle, dentiste, resta femme au foyer et eut beaucoup d'enfants (six).
Ce n'est que vers la fin des années 70 que les mouvements féministes revisitèrent l'histoire des femmes ouvrières pendant la guerre, qui étaient déjà appelées à l'époque les "Rosies". Un documentaire de 1981 qui eut un certain succès, The Life and Time of Rosie the Riveter, entrecoupe des images d'archives avec des témoignages d'anciennes ouvrières.
Quelque part à cette époque, dans des circonstances que Google n'a pas été en mesure de préciser, le poster de "We can do it" a été exhumé et utilisé comme symbole de la lutte des femmes pour l'émancipation, sous le nom, qui pour être honnête était entre temps devenu un nom générique, de Rosie the Riveter.
Ironie de l'histoire, les femmes derrière ce symbole sont d'une part une veuve empêchée de faire une carrière de pilote, et d'autre part une mère de famille à qui on n'a jamais demandé la permission d'utiliser son image, sans parler de lui verser des royalties... Geraldine Doyle s'est reconnue par hasard sur le poster publié par un magazine en 1984. Depuis, sa renommée n'a cessé de croître, (celle du poster, pas de Geraldine) jusqu'à devenir ce qu'on appelle maintenant une icône, reproduite, recyclée et détournée.
Rosie the action figure, Rosie l'incontournable t-shirt avec votre nom dessus, de Marge Simpson à Michelle Obama en passant par, récemment, Beyoncé, tout y est passé. Et encore je vous ai épargné Rosie le Zombie (We can chew it !).
Pour la petite histoire, Marilyn Monroe fut une véritable Rosie. Lorsqu'elle s'appelait encore Norma Jeane Mortenson, et tandis que son premier mari James Dougherty était appelé dans les Marines, elle travailla à la Radioplane Corporation de Van Nuys, Californie, qui comme son nom l'indique, fabriquait des petits avions télécommandés pour l'armée. Des drones en quelque sorte, comme c'est moderne !
Rose Will Monroe 1920-1997 |
Malheureusement, Willow Run refuse de l'embaucher comme apprentie pilote parce qu'elle est mère célibataire. Pourtant les usines ont à cette époque des garderies pour les enfants (qui seront promptement supprimées après la guerre lorsqu'on demandera aux femmes de rentrer à la maison). A mon avis c'est plutôt parce que l'aviation était un métier fort dangereux à l'époque et qu'on ne voulait pas risquer de faire des orphelins.
En tous cas Rose se retrouve ouvrière à la chaîne, à riveter comme tout le monde, lorsque le fameux acteur Walter Pidgeon visite l'usine pour faire un film promotionnel. Il découvre qu'il y a là une fille mignonnette qui s'appelle vraiment Rosie et qui est vraiment riveteuse ! Il la recrute aussitôt pour tourner dans un film de propagande qui passera dans tous les cinémas du pays pour faire vendre au public des obligations de guerre (war bonds).
Rose Monroe fut célèbre pendant toute la guerre comme l'incarnation de Rosie la Riveteuse au cinéma, mais sa carrière à l'écran s'arrêta là. Elle fut ensuite chauffeur de taxi, esthéticienne, puis développa avec succès Rose Builders, une société de construction de villas de luxe.
Enfin, arrivée à la cinquantaine, Rosie eut les moyens d'apprendre à voler. Elle était toujours la seule femme pilote de son club aéronautique. Elle pilota seule pendant huit ans jusqu'à ce qu'elle perde un rein et la vue de l'oeil gauche dans un accident d'avion en 1978, mais continua à voler accompagnée. Elle est morte en 1997, à l'âge de 77 ans, d'une insuffisance rénale, lointaine conséquence de son accident.
Voila une bien belle histoire mais quel rapport avec le poster ci-dessus qui dit "We can do it" ? Aucun, justement.
Geraldine Hoff Doyle 1924-2010 |
Pendant ces deux semaines, un photographe de l'agence de presse UPI dont l'histoire n'a pas retenu le nom passa par là et la prit en photo. Ces photographies faisaient partie de ce que l'on appelle maintenant une banque d'images lorsque l'une d'entre elles fut choisie comme inspiration par le graphiste J. Howard Miller pour une commande de la Westinghouse Electric Company, géant de l'industrie électrique puis nucléaire, très investi à l'époque dans l'effort de guerre. Le but était non pas de recruter du personnel, mais d'améliorer la productivité en décourageant l'absentéisme et la grève. (En passant on avait promis aux femmes des salaires équivalents à ceux des hommes, mais c'était un doux rêve).
Une photo originale de Geraldine Hoff avec sa presse |
On estime que ce poster fut montré uniquement aux employés de Westinghouse pendant quelques semaines au cours de l'été 1942, puis disparut complètement de la circulation pendant plusieurs décennies. Il ne pouvait donc représenter Rosie puisque cette dernière, toute fictive qu'elle fût, n'était pas encore née !
Geraldine Hoff, quant à elle, n'était absolument pas au courant. Elle se maria peu après avec un M. Doyle, dentiste, resta femme au foyer et eut beaucoup d'enfants (six).
Ce n'est que vers la fin des années 70 que les mouvements féministes revisitèrent l'histoire des femmes ouvrières pendant la guerre, qui étaient déjà appelées à l'époque les "Rosies". Un documentaire de 1981 qui eut un certain succès, The Life and Time of Rosie the Riveter, entrecoupe des images d'archives avec des témoignages d'anciennes ouvrières.
La soi-disant Rosie sur un timbre en 1999 |
Ironie de l'histoire, les femmes derrière ce symbole sont d'une part une veuve empêchée de faire une carrière de pilote, et d'autre part une mère de famille à qui on n'a jamais demandé la permission d'utiliser son image, sans parler de lui verser des royalties... Geraldine Doyle s'est reconnue par hasard sur le poster publié par un magazine en 1984. Depuis, sa renommée n'a cessé de croître, (celle du poster, pas de Geraldine) jusqu'à devenir ce qu'on appelle maintenant une icône, reproduite, recyclée et détournée.
Rosie the action figure, Rosie l'incontournable t-shirt avec votre nom dessus, de Marge Simpson à Michelle Obama en passant par, récemment, Beyoncé, tout y est passé. Et encore je vous ai épargné Rosie le Zombie (We can chew it !).
Norma Jeane Dougherty 26 juin 1945 |
Sources
http://www.pophistorydig.com/?tag=rosie-the-riveter-song
http://smoda.elpais.com/articulos/rosie-la-remachadora-la-historia-que-esconde-el-emblema-del-feminismo/5154
http://www.laterbloomer.com/rose-monroe
http://www.nytimes.com/1997/06/02/us/famed-riveter-in-war-effort-rose-monroe-dies-at-77.html