dimanche 15 juin 2014

La force du nombre

Carte des utilisateurs de facebook ("seulement" 1,28 milliards)
D'après le site internetworldstats.com, l'internet comptait 2.405.518.376 utilisateurs au 30 juin 2012, environ 2,8 milliards en 2013 d'après l'Union Internationale des Télécommunications.

Ca fait du monde, même si Google trouve que ce n'est pas assez, et a fondé une entreprise qui s'appelle O3b pour "the Other 3 Billions", qui met sur orbite des relais satellites pas trop chers pour raccorder les laissés pour compte.

En attendant, ces 2,5 milliards de gens peuvent potentiellement se parler entre eux immédiatement et gratuitement, et faire des choses ensemble (une fois qu'ils ont payé leur fournisseur d'accès et appris l'anglais).  Mais que font-ils, à part regarder des films pornos et des photos de petits chats ? C'est un poncif prétentieux que de se plaindre de l'imbécillité de l'humanité qui aurait à sa disposition un outil extraordinaire pour changer le monde, et ne s'en servirait que pour propager des blagues salaces et des théories du complot.

Oui l'internet est un outil extraordinaire, dont personnellement je ne me remets toujours pas, et oui il a changé le monde.

Sans parler des chefs de guerre, des banquiers, des espions, des curés, des multinationales, etc. qui ont de plus en plus de mal  à dissimuler leurs méfaits, il y a des millions d'entreprises, à but lucratif ou pas, qui fonctionnent avec la participation des internautes. Pas seulement comme clients, c'est l'évidence, mais aussi comme collaborateurs.  Pour ne citer qu'un exemple, Ebay ne pourrait pas fonctionner sans feedback. Les marchands de chambres d'hôtel et d'informatique sont ceux qui s'appuient le plus largement sur les avis des utilisateurs. Lesquels peuvent certes être trafiqués, mais c'est là qu'intervient la force du nombre : un hôtelier et ses potes peuvent poster quatre ou cinq avis dithyrambiques sur leur propre boîte, mais probablement pas 1280. 

Les anglophones, qui nous donnent des mots pour mettre sur les choses nouvelles, ont inventé le crowdfunding (en français la finance participative) : on peut acheter des parts d'investissement immobilier, participer à toutes sortes d'investissements dans des start-up, et aussi bien sûr se faire arnaquer par des princes nigérians, mais qui ne risque rien n'a rien. Je recommande toutefois la possession d'un minimum d'intelligence et de méfiance, et d'un compte Paypal, avant de s'aventurer sur ce terrain. Citons parmi les sites qui ont pignon sur internet Kickstarter, Indiegogo, KissKissBankBank .

http://www.kiva.org/
Le crowdfunding est aussi une manne pour les associations charitables, évidemment, qui ont toutes un site internet avec un bouton "pour faire un don, cliquez ici". 

Je retiendrai mon association de micro-crédit favorite, Kiva, qui avec plus d'un million d'utilisateurs a prêté plus de 500 millions de dollars depuis 2005 (ça aide que le patron de Paypal leur ait offert la gratuité des transactions financières). J'ai fait l'apologie enthousiaste de Kiva en 2008 dans Modern Heroes, et ils se portent très bien depuis, merci pour eux.

Mais bon pour tout ça il faut avoir de l'argent superflu, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Concentrons-nous donc plutôt sur la participation entièrement gratuite (et de préférence pas trop fatigante). 

Enter le crowdsourcing (tentatives en français : "collaborat", "externalisation ouverte", "impartition à grande échelle", aïe aïe aïe...).

Tout le monde connait le crowdsourcing, parce que tout le monde connait Wikipedia. L'encyclopédie en ligne est basée sur le présupposé qu'il y a beaucoup plus de gens qui aiment fournir des informations justes, précises et corroborées que de gens qui aiment faire des blagues et faire croire des conneries à leurs concitoyens. Et apparemment ça marche, puisqu'avec 28 millions de collaborateurs, 31 millions d'articles en 287 langues, Wikipedia contiendrait certes des erreurs, mais pas plus que l'Encyclopedia Britannica, parait-il. 

Wikipedia n'est plus le free-for-all qu'il était à ses débuts, il existe maintenant tout un processus de propositions, corrections et arbitrages avant de publier un article en ligne. Mais l'idée fondamentale est qu'une page vue par des centaines de milliers de gens qui ont la capacité de corriger ce qui leur semble être une erreur va statistiquement éliminer les propositions "aberrantes". C'est un processus stochastique, comme la sélection naturelle.

Réfléchissons deux minutes : Wikipedia a été fondée le 15 janvier 2001, moins de huit ans après que le CERN a fait cadeau au domaine public du World  Wide Web, développé par Tim Berners-Lee et Robert Caillau (total respect). Avec un minimum d'optimisme, une fois n'est pas coutume, on peut considérer que l'une des premières réactions de la communauté des internautes a été de créer une encyclopédie véritablement universelle mettant en commun tout le savoir existant pour l'offrir à tous GRATUITEMENT. Elle est pas belle la vie ?

Mais il existe des projets scientifiques participatifs de taille plus modeste et plus faciles à utiliser : mon préféré est Zooniverse (plus d'un million d'abonnés quand même). Voyez-vous, les scientifiques ont aujourd'hui les moyens techniques de collecter des masses de données. Principalement des millions de photos (surtout les astronomes, mais pas seulement). Sauf qu'ils n'ont pas ensuite le personnel pour les trier et les analyser, dire ce qu'il y a dessus, en un mot les regarder. Et c'est une chose que les ordinateurs ne savent pas encore faire. Or donc, l'idée de Zooniverse est de mettre en ligne les données, et de demander au public de les trier. 
On peut suivant ses goûts scruter des photos de galaxies, d'étoiles, de fonds marins, de planètes, de baleines, de trou noirs, la surface de la lune, du soleil, de mars, reluquer des chauve-souris, des condors, des cyclones, ou des animaux de la savane.

Impala - Snapshot Serengeti
Je suis fan de ce dernier, qui s'appelle Snapshot Serengeti. Il s'agit de repérer des animaux sur des photos prises par des appareils automatiques sensibles au mouvement installés dans le parc du Serengeti, comme son nom l'indique. La plupart du temps on ne voit rien, ou des bouts d'animaux plus ou moins identifiables, des arrière-trains en général. Mais de temps en temps on tombe sur une photo parfaite et on est super content. C'est comme un safari photo à domicile.

Le système là aussi est stochastique : chaque photo est vue par un certain nombre de personnes différentes. Si l'une d'entre elles se trompe, ce n'est pas grave. Mettons que 19 internautes ont vu un rhinocéros et un autre a vu un babouin, c'est qu'il était bourré, mais sur des centaines de milliers de photos, le résultat, statistique encore une fois, est parfaitement exploitable pour suivre l'évolution des populations de ces charmantes bêtes.

Autre projet épatant : le Smithonian Institute propose au public de déchiffrer et transcrire les manuscrits conservés dans ses archives, afin de pouvoir plus facilement les indexer et exploiter ensuite. Journaux de bord, récits d'explorateurs et principalement des notes de botanistes. Il y a un autre motif à cette entreprise c'est que les Etazuniens ne savent plus lire l'écriture cursive, qu'ils n'apprennent plus à l'école ! Mais c'est une autre histoire. 

A ma connaissance, le crowdsourcing le plus avancé en France est celui des sociétés de généalogie, dont les membres déchiffrent et mettent en ligne les registres d'état civil, mais la participation est rarement gratuite.

Pour les participants d'un niveau plus expert, on peut donner de la capacité de calcul de son ordinateur au CERN ou à d'autres labos scientifiques via BOINC (j'en ai parlé ici), ou même s'occuper d'une sonde spatiale récemment offerte au public par la NASA

Je parle de ceux que je connais pour les avoir testés, mais il y a des tonnes de projets scientifiques répertoriés par le site http://scistarter.com/.

A part ça si vous trouvez que l'épigraphie ou l'observation astronomique c'est boring, que votre truc c'est changer le monde, là maintenant, faut qu'ça pète bordel, en même temps vous n'avez pas le temps ou la santé pour vous engager dans les paras, Médecins Sans Frontières, les casques bleus ou l'EEIL, vous pouvez toujours signer des pétitions.

La place de la Seigneurie sans autos
Les esprits chagrins vous diront que c'est se donner bonne conscience à bon compte, un truc de feignasses, et qu'il faut balancer des cocktails molotov sur les CRS. Personnellement je suis pyrophobe, j'ai peur du feu et de tout ce qui est chaud, raison pour laquelle je ne fais pas la cuisine, mais ne nous égarons pas.

Je me flatte également de ne jamais avoir signé une pétition qui n'ait pas abouti, depuis le jour de 1979 où j'ai signé une pétition pour l'interdiction de la circulation automobile dans le centre historique de Florence, après avoir manqué me faire écraser sur la piazza della Signoria par la mercédès d'un touriste égaré.

Bien entendu, pour ne pas mettre à mal mon record, je suis très très très sélective, mais enfin ça prouve que c'est possible.


Livraison d'une pétition à Madrid, en 2011
Là aussi, les sites de pétitions en ligne sont légion. Moi j'aime bien Avaaz, et Change.org.
Avaaz est une puissance respectable, avec plus de 36 millions de participants, and -  literally -  counting, puisque l'on voit sur la page de garde le compteur avancer, ce qui a le don de me fasciner. Je soupçonne d'ailleurs que c'est ce gadget qui fait son succès. En France, l'accueil est mitigé, mais j'ai regardé toutes les critiques qui lui sont faites, et je n'ai rien trouvé de décourageant, les accusations émanant soit de fachos reconnus, soit de gens qui ne sont pas d'accord avec telle ou telle initiative du groupe.

Change.org est la mère de toutes les batailles de la pétition en ligne : 70 millions d'inscrits, avec un site qui pour être honnête est mieux fait que celui d'Avaaz, mais moins fun. Il y a notamment un moteur de recherche, oui mais voila, il n'y a pas les compteurs et les signatures qui défilent, ce qu'on peut être futile, parfois.

Ce qui m'étonne, c'est que la vénérable Amnesty International, pour qui écrire des lettres aux autorités et signer des pétitions est le coeur de métier depuis toujours, ait laissé passer ce train. Amnesty a trois millions d'adhérents, mais peut-être moins dilettantes que les signeurs de pétitions en ligne du dimanche, je suppose.

Et sinon, vous pouvez aussi regarder des petits chats, après tout ça ne fait de mal à personne, et c'est toujours ça.



 Sources
Wikipedia
http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/14/les-satellites-google-vus-dafrique-lappetit-vient-mangeant-252843
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/06/10/le-crowdfunding-affole-les-compteurs_4435314_651865.html
http://www.wired.co.uk/news/archive/2014-05/22/digital-democracy
http://www.smh.com.au/it-pro/it-opinion/the-internet-has-turned-us-into-compulsive-sharers-who-know-it-all-20140522-zrljb.html
http://www.iflscience.com/space/crowd-sourced-science-revive-space-probe
http://www.larevuedudigital.com/2014/06/expert/petition-en-ligne-en-france-3-millions-de-francais-pour-22-000-petitions/

1 commentaire:

  1. Certes, 'externalisation ouverte' et 'impartition à grande échelle' sont des équivalents nuls pour traduire 'crowdsourcing'. Mais je ne crois pas que 'collaborat' mérite des «aïe, aïe, aïe», surtout parce que ce néologisme est lui-même un produit du phénomène (wikiLF). Il fonctionne à deux niveaux: étant l'abréviation de 'collaboration' et la continuation de la série 'artisanat', 'partenariat'...

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