Souvenez-vous des déjeuners sur l'herbe à la campagne, dans les étés de votre jeunesse, salade de tomates, tartines de rillettes et tarte aux mirabelles, harcèlement des insectes velus et vrombissants se noyant dans le petit vin blanc...
Cette époque est révolue, car il n'y a plus d'abeilles, ni dans vos campagnes, ni ailleurs. Elles sont en grève, sans préavis. Elles n'ont pas prévenu, n'ont pas commencé à traîner la patte et à perdre en productivité. Aucune abeille morte au seuil de la ruche n'a donné l'alarme. Elles sont parties un beau matin sans se retourner. Elles se sont absentées.
Depuis 2006, les apiculteurs perdent en moyenne 30% de leurs colonies par an, d'une manière quelque peu déroutante : les ruches sont tout simplement abandonnées par les ouvrières, laissant la reine et ses domestiques crever de faim. Ce phénomène s'appelle désormais CCD, pour Colony collapse disorder, ou syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles .
Le vie d'une abeille n'est pas la promenade parmi les fleurs que l'on peut imaginer : c'est plutôt les cadences infernales. Elle doit visiter 1500 fleurs pour collecter une boule de 15 miligrammes de pollen et la transporter jusqu'à la ruche. Pour engranger la cinquantaine de kilos de pollen par an nécessaire à sa survie, une colonie doit effectuer 45000 expéditions par jour. Chaque abeille parcourt en moyenne 800 km avant de mourir d'épuisement au bout de trois semaines. Et je parle des ouvrières, le sort des reines et des mâles est encore plus déprimant.
Comme si leurs occupations naturelles n'étaient pas assez épuisantes, voila qu'on leur fait parcourir des milliers de kilomètres en camion pour pratiquer la pollinisation intensive. (On a découvert que si l'on déplace leur ruche de moins de quatre kilomètres, les abeilles se perdent, mais si on la déplace sur une plus longue distance, elles rebootent leur GPS et reprennent le chemin du boulot. Un peu comme les diplomates.)
Un exemple extrême : la Californie ne produit pas que des films d'actions et des plagistes, mais aussi 80 % de la production mondiale d'amandes, qui rapporte deux milliards de dollars par an. A l'époque de la floraison, pour polliniser 60 millions d'amandiers géométriquement plantés sur 240 000 hectares, il ne suffit pas d'attendre que quelques insectes bourdonnants passent par là. Plus d'un million de ruches sont tranportées vers la Californie à l'époque de la floraison des amandiers. Elles arrivent par camions de tout le pays, et certaines par avion depuis l'Australie.
Les apiculteurs industriels passent cinq mois par an sur la route, parcourant plus de 4000 km des amandiers de Californie aux agrumes de Floride, pommes et cerises du nord, myrtilles du Maine...
Certains "observateurs" voient dans le stress de ces déménagements une cause du CCD. D'autres apiculteurs répondent qu'ils transbahutent leurs ruches depuis 40 ans sans qu'elles en soient affectées.
En réalité les apiculteurs et scientifiques se creusent la tête pour comprendre les causes du CCD depuis cinq ans, et toutes les réponses sont en relation avec l'industrialisation de l'agriculture, et son corollaire la massification de la pollinisation.
La contamination par des virus, champignons et parasites n'est pas étonnante quand 40 milliards d'abeilles se retrouvent en Californie chaque année. De plus, l'absence de variabilité génétique diminue leur résistance aux épidémies, pardon, aux épizooties.
La malnutrition : à cause de la monoculture, les abeilles ne se nourrissent que d'une seule sorte de pollen ; certains ne sont pas très nourrissants, comme le tournesol en Europe ou les airelles aux Etats-Unis. On donne alors aux abeilles de la junk food, des sirops de maïs et substituts de pollen propres à donner au plus loyal insecte des envies de suicide...
Les insecticides : en France, on accuse le RoundUp, de la célèbre compagnie Monsanto. Aux Etats-Unis, c'est plutôt le Gaucho, insecticide Bayer à base de nicotine qui rendrait les abeilles gaga. Le Gaucho, comme le Regent de BASF, sont interdits en France depuis 2004, à la suite d'une vaste bataille entre apiculteurs, agriculteurs, écologistes et lobbyistes de l'industrie agro-chimique. (Ces Français, toujours en train de nuire au grand capital).
Certes il existe une foule de réglements nationaux et internationaux qui prévoient dans leur grande sagesse que les insecticides ne doivent pas tuer les abeilles. Mais tout dépend de ce que l'on appelle tuer... Si la toxicité de certains produits n'est effectivement pas suffisante pour tuer les abeilles mortes sur le dos les pattes en l'air, elle peut en revanche avoir des effets neurologiques qui affectent la communication et l'organisation à l'intérieur de la ruche, et font perdre aux ouvrières la mémoire, le sens de l'orientation et le goût du devoir.
En attendant nos vertes campagnes ne bourdonnent plus. Moi, vous me connaissez, je ne suis pas millénariste. Je ne vais pas vous parler de la fin du monde. Les abeilles ne pollinisent pas toutes les plantes, et ne sont en outre pas les seuls insectes pollinisateurs. D'ailleurs, l'abeille domestique, apis mellifera, n'existait pas à l'état naturel en Amérique, ce sont les colons qui ont amené leurs ruches d'Europe. Ca n'empêchait pas les Américains d'avoir des plantes, et même des séquoias géants. Il est donc faux de dire que la disparition des abeilles entraînerait la mort de toute la flore. Seulement la majorité des plantes à fleurs, et un tiers des cultures alimentaires. Personnellement, j'ai un faible pour les gueules-de-loup, les roses trémières, et, well, la tarte aux mirabelles. En plus je déteste le sirop d'érable, destiné à remplacé le miel sur les tartines.
Alors, affaire Apis Mellifera : meurtre ou suicide ? Pour continuer l'enquête pendant les vacances voici ce qu'il est convenu d'appeler des ouvrages de référence :
Dernières nouvelles : 30 % des abeilles qui ont participé à la pollinisation des amandiers de Californie sont mortes pendant la saison 2010, déclare Jerry Hayes, Asst. Chief, Apiary Inspection, Florida Dept. of Agriculture.
Vincent Tardieu - L'étrange silence des abeilles : Enquete sur un déclin mystérieux - Belin, 2009
Alison Benjamin, Brian McCallum - A World without Bees - Guardian Books 2008
Mark Daniels - Un monde sans abeilles - Film DVD - Arte éditions
Mark Daniels - Un monde sans abeilles - Film DVD - Arte éditions
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